Mauvais œil, de Marie Van Moere
Cinq ans après Petite louve, Marie Van Moere nous invite une nouvelle fois en Corse avec ce Mauvais œil longtemps attendu.
Encore une fois, c’est avant tout une histoire de femmes et de familles que raconte la romancière : d’un côté Cécile Stéphanopoli, commissaire de police à Ajaccio en pleine rupture et chargée du poids de la notoriété d’un père auquel elle a succédé, de l’autre Antonia Mattéi, recluse dans un village de l’arrière-pays depuis la mort de son mari, ancien dirigeant d’une bande qui avait la mainmise sur une partie de la région.
Antonia vit avec ses deux fils, Pierre-Ours et Joseph, dans la maison de son père, ancienne figure du mouvement nationaliste, cloué dans un fauteuil roulant depuis les événements d’Aleria, et véritable tyran domestique. Le retour de Toussaint, l’ancien associé de son mari, au moment même où se produit un nouveau drame familial représente peut-être l’espoir d’une renaissance pour cette famille brisée et même d’une revanche.
Marie Van Moere revient donc cependant à ses thèmes de prédilection dans un cadre géographique et sociologique qui constitue une riche matière pour le roman noir. Après le presque huis-clos en paysage ouvert qu’était Petite louve, Mauvais œil se veut plus ample et fait intervenir toute une galerie de personnages aux intérêts bien entendus divergents quand ils ne sont pas tout simplement amenés à se heurter violemment. Au milieu de cela les personnages de Cécile et Antonia émergent et s’opposent : la première lutte avec la dernière énergie contre les poids qui la tirent vers le fond et les courants qui sapent l’autorité qu’elle est censée avoir, la seconde joue activement de sa passivité dans l’espoir que les événements se plieront au destin dont elle espère bénéficier. Mais cela ne peut se faire sans la destruction au moins partielle de ce qui les entoure et de ce qu’elles sont.
Derrière l’intrigue assez classique dans le genre – corruption, racket, menaces et vengeances – c’est bien la tragédie qui se joue autour d’Antonia et le combat presque désespéré de Cécile qui font le sel du roman de Marie Van Moere qui, par ailleurs, arrive faire d’une grande partie des personnages qui évoluent dans ce roman plus que des ombres : Pierre-Ours, Ottavi, Lagadec, Schiavassé, Blaise, Toussaint, Idris, Élisa ou même le mutique Fernand prennent chair et constituent autant de points d’appui et de révélateurs autour de ces deux femmes. Il en va de même d’au moins deux lieux, la maison du cimetière et la ferme piscicole, qui acquièrent à leur manière un statut de personnages à part entière qui pèsent sur l’histoire.
C’est là la réussite de Mauvais œil, cette manière de tisser une tragédie à la trame serrée autour de personnages forts qui prend sa véritable ampleur dans une deuxième partie plus tendue qui ne souffre pas des mêmes défauts que la première, où la caractérisation des personnages passe parfois par des descriptions un peu emphatiques et où la profusion de notes de bas de page due à la volonté de l’auteur de s’ancrer dans le réel au risque de se perdre dans les détails techniques. Ces réserves posées, Mauvais œil demeure tout de même un roman recommandable.
Marie Van Moere, Mauvais œil, Equinox Les Arènes, 2019.
Du même auteur sur ce blog : Petite louve.