Dedans ce sont des loups, de Stéphane Jolibert
Dans un Nord fantasmatique, près du cercle polaire, une petite population vit autour d’une sorte de zone franche. Quelques fermes décrépies, un garage, un supermarché et, cœur battant des lieux, le Terminus, hôtel bar et bordel. Soit on naît en ces lieux et l’on en part, soit l’on vient s’y réfugier quand on a des comptes à régler avec la justice plus au sud. La frontière passée, lorsque l’on entre ici, on n’obéit plus qu’aux règles de ce grand patron que personne n’a jamais vu mais dont la justice est plus qu’expéditive.
C’est ici que vit Nats, ancien garde-putes du Terminus chargé dorénavant d’aider le Vieux Tom, cul-de-jatte distillateur de gnôle, à livrer l’hôtel en eau-de-vie. Et si Nats est ici, c’est aussi parce qu’il a dans le collimateur Sean, son remplaçant au Terminus, dans les traits duquel il croit reconnaître celui qui a été son bourreau dans une autre vie, en d’autres lieux. Et puis débarque Sarah, la nièce de Tom, qui va chambouler les plans de Nats.
S’il y a bien une chose que l’on ne peut enlever au roman de Stéphane Jolibert, c’est l’originalité de son décor et le sentiment d’oppression qu’il fait ressentir au lecteur. Dans l’immensité enneigé, l’espèce de cloaque que représente la communauté rassemblée autour du Terminus, repris de justice, prostituées, garagiste borderline qui n’est pas sans rappeler celui qui évolue dans la contrée beaucoup plus chaude de John Ridley, apparaît autant comme un nouveau cercle de l’enfer que comme l’endroit d’une possible renaissance. Stéphane Jolibert s’y entend pour faire ressentir la sauvagerie qui a cours en ces lieux et la manière dont la plupart des personnages flirtent avec une forme de folie furieuse.
Si l’allégorie autour de la figure du loup peut parfois, à cause d’une tendance de l’auteur à vouloir trop appuyer son propos, manquer de subtilité – peut-être parce que sa manière de présenter l’amoralité d’une grande partie des personnages fait de ce livre un roman éminemment moral et un peu moralisateur – et si l’on ne peut nier le fait que l’ensemble n’est pas dénué de quelques longueurs, il n’en demeure pas moins que Dedans ce sont des loups est un thriller de très bonne tenue. Jolibert mène plutôt bien sa marque et, disons-le encore, crée là un monde extrêmement vivant, entre le roman post-apocalyptique et le western dont il connaît bien les ressorts et figures obligées. De quoi passer un bon moment de lecture.
Stéphane Jolibert, Dedans ce sont des loups, Éditions du Masque, 2016. Rééd. Le Livre de Poche, 2017. 313 p.