Le diable en personne, de Peter Farris
Sorti de manière un peu isolée quelques mois après les premiers romans de la collection NeoNoir, Dernier appel pour les vivants, le premier roman de Peter Farris, est passé assez injustement inaperçu. Ça ne devrait pas être le cas de Diable en personne, qui nous arrive pour la rentrée littéraire et qui, comme son prédécesseur, a de quoi séduire.
La situation de départ est relativement simple, pour ne pas dire archétypale. Deux hommes transportent dans le coffre de leur voiture une jeune prostituée, Maya. Celle-ci a entendu des choses qui doivent demeurer secrètes et est donc destinée à finir dans un marécage de Géorgie. Mais les deux gros bras chargés de se débarrasser de Maya ont eu le malheur de s’approcher de trop près de la propriété du vieux Leonard Moye, ancien bootlegger, misanthrope patenté, et qui vit avec un mannequin de couture et un sacré paquet de flingues. Le vieil homme se prend d’affection pour la jeune fille et décide de la protéger coûte que coûte contre ceux qui ne vont pas tarder à débarquer pour finir le boulot bâclé la première fois.
Il y a certes derrière cela une vague histoire de corruption politique, de liens entre le maire de la Grande Ville (on aura tôt fait de reconnaître Atlanta) et des cartels mexicains en plein développement, mais tout cela n’est finalement qu’un vague décorum destiné à offrir un semblant de colonne vertébrale au récit et justifier la rencontre entre Maya et Leonard. Car, de fait, on a bien l’impression – et c’était déjà le cas avec le premier roman de Peter Farris – que l’auteur prend moins pour point de départ une intrigue qu’une situation ; ici, donc, un vieil homme qui choisit de protéger une jeune femme. À partir de là, il voit où tout cela peut mener et, d’une manière générale, ne s’interdit rien. Cela donne, comme dans Dernier appel pour les vivants, quelques incohérences ou situations tirées par les cheveux, mais surtout des scènes saisissantes qui alternent avec des moments plus intimes tour à tour émouvants ou insolites. Le moment où Leonard Moye prend sa vieille voiture de bootlegger pour aller acheter des serviettes hygiéniques en ville avec son mannequin vaut à lui seul le détour.
Quitte à enfoncer des portes ouvertes et à énoncer des banalités, on dire que Peter Farris joue habilement avec les codes du noir – littéraire comme cinématographique. Les méchants sont particulièrement méchants, mais les gentils, pour aussi gentils qu’ils soient, peuvent se montrer encore plus méchants si on les cherche un peu trop, les scènes de traques ou de fusillades sont épiques, les dialogues sont efficaces, la relation entre Leonard et Maya a juste ce qu’il faut d’ambigüité et, d’une manière générale, tout fonctionne exactement comme l’on s’y attend. On ne dira donc pas que Le diable en personne est un roman surprenant, mais il a pour lui d’être parfaitement mené par un auteur qui sait de toute évidence bien écrire et qui prend plaisir à raconter son histoire. Plaisir partagé par le lecteur.
Peter Farris, Le diable en personne (Ghost in the Fields, 2017), Gallmeister, 2017. Traduit par Anatole Pons. 266 p.
Du même auteur sur ce blog : Dernier appel pour les vivants ; Les mangeurs d'argile ;