Les Marches de l'Amérique, de Lance Weller
Paru en France en 2013, Wilderness, premier roman de Lance Weller est l’un des plus beaux livres publiés par les éditions Gallmeister jusqu’à présent. C’est dire si le deuxième roman de l’auteur était attendu.
Lance Weller remonte un peu le temps. Après la Guerre civile et ses suites dans Wilderness, il évoque dans Les Marches de l’Amérique la première moitié du XIXè siècle, une nation qui est en train de se construire dans le sang et où le vieux mythe de la Frontière prend un sacré coup. Il n’est d’ailleurs question que de frontières ici, ou de barrières. La frontière que l’on conquiert – ces Marches du titre, marchlands en anglais, c’est-à-dire ces zones périphériques disputées –, la barrière raciale telle que l’éprouve Flora que la présence de sang noir dans ses veines a condamné à l’esclavage, la frontière entre civilisation et sauvagerie, celle bien entendu, entre le bien et le mal et enfin entre illusion et réalité telle que les éprouvent Pigsmeat et Tom.
Ce sont ces hommes et cette femme qui apparaissent d’abord à un groupe de pionniers. Assis sur le banc de leur chariot, séparés par un pied d’éléphant porte-parapluies, tirant un cercueil dans lequel repose un cadavre conservé dans le sel, on s’aperçoit bien vite que la réputation de tueurs de Tom Hawkins et Pigsmeat Spencer les a précédés. Et Lance Weller, dès lors, retourne en arrière pour nous conter les vies exceptionnelles de ses trois personnages.
Le récit ample, mouvant, échappant au lecteur le temps de rejoindre un autre des héros ou l’enfonçant dans une réalité si sordide qu’on peine à croire qu’elle existe, possède le souffle des grandes épopées tout en se plaçant à hauteur d’homme. On y croise des femmes exploitées, des enfants violentés, des comancheros au bout du rouleau, des indiens acculés, des chiens galeux et des petits tyrans. Quelques moments d’une rare beauté et des histoires d’amours brisées, nécessairement, ce qui n’empêche pas qu’elles soient belles elles aussi, viennent éclairer ce récit sauvage dans le fond et étonnamment posé dans la forme pour mieux faire ressortir ces moments où la violence ou les sentiments se déchaînent.
C’est le tourbillon d’un pays en train de poser ses fondations dans le sang et la violence sur un frontière qui semble vouloir lui échapper :
« -Monsieur, est-ce que vous pouvez nous dire, c’est le Texas ou le Mexique, ici ?
-Qui peut le dire, ces jours-ci ? répliqua le vieil homme. L’un ou l’autre, je suppose. (Il sourit.) À moins que ce ne soit ni l’un ni l’autre. »
C’est aussi, certainement, le récit édifiant de l’humanité en général :
« -La guerre va là où vont les hommes, dit-il. Et les hommes vont partout. »
Et c’est en tout cas, une fois encore, un roman profondément beau, dans son fatalisme teinté malgré tout d’une once d’espoir comme dans sa violence.
Lance Weller, Les Marches de l’Amérique (American Marchlands, 2017), Gallmeister, 2017. Traduit par François Happe. 357 p.
Du même auteur sur ce blog : Wilderness ; Le cercueil de Job ;