La fille de nulle part, de Fredric Brown

Publié le par Yan

Dépressif, George Weaver a, sur les conseils de son médecin, décidé de faire une cure de repos. L’agent immobilier du Missouri trouve donc une maison à louer dans les environs de Taos, au Nouveau- Mexique. Là, au milieu des montagnes, Weaver entend bien se ressourcer. D’autant qu’il a fait une affaire. La maison qu’il loue, isolée, n’a pas trouvé d’acheteur depuis que, huit ans plus tôt, une certaine Jenny Ames y a été assassinée par son compagnon. C’est donc pour une bouchée de pain et en échange de menus travaux que George Weaver peut s’installer pour quelques mois.

Il faut cependant bien vivre, et les quelques économies dont dispose Weaver finiront bien par s’épuiser. Aussi accepte-t-il de travailler pour le compte d’un ami écrivain et journaliste sur un projet d’article ayant trait à l’histoire tragique de Jenny Ames. Mais ce qui au départ n’est rien d’autre qu’une façon de tuer l’ennui et de gagner quelques centaines de dollars va très vite virer à l’obsession. Et l’arrivée de la femme de Weaver, Vi, venu le rejoindre quelques semaines, ne va pas arranger les choses. Alors que Vi et George, pour s’occuper autant que pour s’éviter, se saoulent consciencieusement, Jenny occupe de plus en plus les pensées de George.

Paru en 1951, La fille de nulle part fait partie, à l’image d’une bonne part de ceux de Jim Thompson ou de David Goodis, de ces grands romans noirs intemporels. La quête obsessionnelle de George Weaver et la manière dont elle précipite sa déchéance n’est en effet qu’un nouvel avatar d’un thème universel. À ceci près que Fredric Brown le maîtrise parfaitement et, disons-le clairement, en tire un chef-d’œuvre de la littérature noire.

Sans effets de manche, à l’aide d’une écriture sans fioritures mais qui arrive à rendre parfaitement la manière dont l’esprit de Weaver se met insensiblement à dériver et la façon dont lui et Vi s’enfoncent dans la dépression et l’obsession, Brown crée une atmosphère de plus en plus pesante, instille une crainte diffuse, suscite l’empathie vis-à-vis de personnages qui paraissent de plus en plus pathétiques au fur et à mesure qu’ils s’enlisent dans ce coin perdu des montagnes du Nouveau-Mexique et dans leurs propres peurs et obsessions.

Cela suffirait déjà à en faire un grand roman, mais Brown, en auteur populaire accompli, vient y adjoindre un retournement final sidérant et qui éclaire d’un jour nouveau tout ce qui l’a précédé, accroissant encore le malaise. C’est peu dire que l’on a affaire à un livre brillant.

Merci au passage à Laure et Judith dont les efforts pour promouvoir ce roman n’auront pas été vains.

Fredric Brown, La fille de nulle part (The Far Cry, 1951), La Découverte, 2006. Rééd. Rivages/Noir, 2008. Traduit par Gérard de Chergé. 255 p.

Du même auteur sur ce blog : La nuit du Jabberwock ;

 

Publié dans Noir américain

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C
je pense que F Brown est plus qu'un auteur populaire, c'est un styliste accompli, maître de la chute dans ses nouvelles, et capable du meilleur comique - Martiens go home-, comme du pire mélo dans ses romans noirs; à découvrir absolument !
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