Les maraudeurs, de Tom Cooper
Nous sommes à l’été 2010, dans la baie de Barataria, aux confins du delta du Mississipi et du pays cajun. À Jeanette, petite ville de pêcheurs de crevettes déjà ravagée en 2005 par l’ouragan Katrina, on commence à pêcher plus de galettes de pétroles que de crustacés alors que le brut déversé plusieurs mois durant au large du Golfe du Mexique après l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon arrive sur la côte de Louisiane.
Il y a ceux que la catastrophe écologique touche de plein fouet : Wes Trench et son père, tous les deux pêcheurs, Lindquist, manchot, patron de crevettier et qui, par ailleurs, entre deux prises d’analgésiques puissants, aime à écumer les ilots de la baie avec son détecteur de métaux dans l’espoir de trouver un jour un hypothétique trésor que le pirate Jean Lafitte aurait pu enterrer au début du XIXè siècle, quand la Barataria constituait son « royaume ».
Il y a ceux que cela touche indirectement, comme Hanson et Cosgrove, deux compères qui se sont connus en accomplissant des travaux d’intérêt général et qui se sont retrouvés en profitant des embauches créées par la marée noire pour démazouter des oiseaux.
Il y a ceux qui s’en foutent, comme les jumeaux Toup, inquiétants ploucs un brin psychopathes qui n’ont pas choisi la voie de la crevette mais plutôt celle de la culture de cannabis sur une île isolée de la baie et qui tiennent à défendre leur gagne-pain.
Enfin il y a ceux à qui cela profite, comme Brady Grimes, mandaté par la British Petroleum pour convaincre les pêcheurs et autres habitants de la Barataria d’accepter une compensation financière sous-évaluée plutôt que de se lancer dans des poursuites judiciaires contre le géant pétrolier.
Mais quand Lindquist, en cherchant son trésor commence à un peu trop traîner du côté de l’île où les Toup ont installé leur production, quand Hanson et Cosgrove, après avoir goûté la meilleure herbe de leur vie, décide de partir à la recherche d’une île qui, d’après les rumeurs, abriterait un champ du meilleur cannabis de la côte est, les choses commencent à déraper.
Regard acerbe sur les suites de la marée noire de Deepwater Horizon, mais aussi sur la petite société de la Barataria qui relève bien souvent plus du panier de crabes dans lequel s’ancrent de vieilles rancœurs que de la fameuse hospitalité du sud et de la solidarité censée l’accompagner, Les maraudeurs est un roman noir qui dézingue dans tous les sens. Portrait de losers dont les rêves souvent banals sont pourtant trop grands pour eux, ce roman choral réussit à allier avec bonheur l’humour – grinçant – et la radiographie sociale de ce coin de bout du monde abandonné des dieux et du gouvernement.
La force de Tom Cooper dans ce livre est sans doute de réussir à créer des personnages dotés d’une véritable épaisseur, avec leurs contradictions, leurs petites lâchetés, leurs remords et, parfois, leurs victoires, aussi ténues soit elles, sur la vie de chiens qui s’offre à eux. Car, par ailleurs, ni l’environnement hostile de la baie de la Barataria écrasée par la chaleur, peuplée d’alligators et de serpents, et sur laquelle flotte l’odeur du pétrole piégé dans la vase, ni l’auteur lui-même ne les épargne. Entre les monstrueux Toup et Lindquist, tragique personnage, creusant indéfiniment sur les îles de la baie dans l’espoir fou de trouver le trésor qui lui offrira plus que la richesse, le respect de ceux qui n’ont jamais voulu croire en lui, c’est toute une part d’humanité plus banale mais tout aussi perdue qui s’agite, se croise, se poursuit ou cherche à s’éviter sans jamais y parvenir.
Ainsi donc Tom Cooper touche à la fois au cartoon sanglant et au portrait social au vitriol. Noir, sans illusion sur le monde mais avec malgré tout une pointe d’espoir qu’incarnent à la fois Lindquist et ses rêves et Wes et sa capacité à avancer malgré tout, Les maraudeurs est un très bon premier roman. Sans être un chef-d’œuvre – pitié, que l’on nous épargne cette fois l’image du « nouveau Faulkner » –, porté par une écriture efficace mais assez lisse, ce premier livre de Tom Cooper nous évoque quelques romans de Carl Hiaasen (On pense à Jackpot et, dans une moindre mesure à De l’orage dans l’air), ce qui est plutôt bon signe et donne en tout cas l’envie de voir ce que donnera le suivant.
Tom Cooper, Les maraudeurs (The Maraudeurs, 2015), Albin Michel, Terres d’Amérique, 2016. Traduit par Pierre Demarty. 400 p.