Carrières de sable, de Jérôme Baccelli
Francis Plan a disparu. Le « Directeur en Strategy Consulting » pour Lehmann Brothers, Goldman Sachs et enfin Anton Brothers avait perdu son portable. Coupé du reste de l’entreprise même s’il était de toute évidence dans ses bureaux, il a tout bonnement fini par se volatiliser ou par s’effacer faute d’être intégré dans les réseaux de communication. Nurani, juge d’instruction au pôle financier est chargé d’enquêter sur cette disparition d’autant plus étrange que Plan continue malgré tout de faire son travail, des dossiers continuent d’arriver sur les ordinateurs de l’entreprise qui est d’autant plus rétive à admettre sa disparition que cette annonce risquerait de saper sa valeur boursière. Car, et Nurani s’en aperçoit assez vite, d’autres employés de grandes multinationales se volatilisent, sont là sans ne plus y être. En se demandant pourquoi, Nurani met au jour des vérités dont tout le monde voudrait qu’elles demeurent cachées.
Étrange roman d’enquête et d’anticipation prenant pied dans un monde qui résonne fort avec le nôtre, Carrières de sable met en scène une société occidentale minée par les attentats à répétition, incapable de voir autrement ceux qui poussent à ses portes, réfugiés, tsiganes, que comme des hordes barbares venues la renverser. Mais renverser quoi ? Un système devenu totalement indépendant de ceux qui l’ont créé et qui s’est finalement longtemps suffit à lui-même. Un monde déshumanisé dans lequel l’homme n’existe pas pour lui-même mais seulement par sa capacité à représenter un maillon de l’entreprise. Que ses rapports disparaissent des serveurs, que son téléphone soit coupé, que son numéro de sécurité sociale soit effacé, et il n’est plus rien. Asservi a son travail, n’existant que par lui, y compris lorsqu’il ne sert à rien, l’être humain de la société décrite par Baccelli ne se construit plus par ses qualités ou ses défauts, ses sentiments ou ses passions. Mais que ces numéros au service de l’économie commencent à disparaitre et c’est tout le système qui vacille. C’est cela que met à jour Nurani dans sa vertigineuse enquête.
Chronique d’un monde en train de disparaître par l’effet de sa propre inhumanité, Carrières de sable est plus un enquête métaphysique qu’un roman policier, mais il est indéniablement noir et d’une froideur à tout le moins déstabilisante. Passée la première impression désagréable qui, à force de notes de bas de page en anglais et références à des travaux d’économistes donne un ton pompeux aux premiers chapitres, on finit par se laisser aller à suivre les pas de Nurani et à plonger avec lui dans cette troublante investigation au cœur d’un monde qui s’effondre. Angoissant, inconfortable mais pas dénué d’une certaine poésie, Carrière de sable est un étrange objet littéraire dans lequel le lecteur s’enfonce – au risque de s’y perdre, d’ailleurs – mu par la curiosité suscitée, par le besoin de savoir, quitte à s’apercevoir en fin de compte que dans un monde devenu virtuel il n’y a peut-être plus grand-chose à comprendre.
Jérôme Buccelli, Carrières de sable, Le Nouvel Attila, 2016. 141 p.