Manhattan Grand-Angle

Publié le par Yan

Avant le saisissant 911, paru en 2014 chez Sonatine, il y a eu le très beau Manhattan Grand-Angle, premier roman noir du décidément doué Shannon Burke qui puise là aussi une part de son inspiration dans son expérience d’ambulancier à New York. Comme le Ollie Cross de 911, le personnage central de Manhattan Grand-Angle, Frank Verbeckas, est un peu un intrus dans le monde fruste des ambulanciers. Jeune homme doué, sans doute destiné à des études brillantes comme son frère devenu chirurgien, Frank a choisi d’écumer Manhattan, en pleine épidémie de crack dans ce début des années 1990, dans une ambulance. Et toujours avec son appareil photo.

« (…) un homme pendu depuis trois semaines, un bébé mort de faim, un sauteur empalé sur une grille, le ralentisseur de Lenox Avenue », Frank accumule les clichés morbides, saisi la misère au quotidien, moins pour assouvir quelque perversion morbide que pour ne pas regarder vraiment la mort – et, partant, la vie – en face. C’est lors d’une de ces interventions-séance photo qu’il rencontre Emily, blessée au genou par la balle qu’un homme s’est tiré dans la tête. Emily est séropositive, Frank en tombe amoureux. L’histoire pourrait n’être que tragique et, fatalement, elle le sera à un moment à un autre, mais elle devient pourtant peu à peu porteuse d’espoirs, à commencer par celui de pouvoir aimer la vie, malgré tout : comme anesthésié depuis le suicide de son père, Frank n’en attend plus rien tandis qu’Emily sait qu’en ce qui la concerne les dés sont jetés. C’est comme cela qu’à deux, dans le chaos de la mégapole et de leurs existences, ils ouvrent peu à peu une parenthèse dans laquelle ils peuvent panser leurs plaies et se porter l’un l’autre.

Pour autant, Shannon Burke ne sort pas les violons et écarte autant que possible tout pathos. Le regard est froid et, quelque part, n’est pas sans rappeler les clichés de Frank. Il n’y a là ni jugement, ni volonté de faire pleurer dans les chaumières. Juste la vie, ses sales coups, ses moments lumineux, son ennui et son urgence. C’est souvent saisissant, parfois extrêmement poignant et toujours sans artifice. Un roman qui mérite amplement qu’on le redécouvre.

Shannon Burke, Manhattan Grand-Angle (Safelight, 2004), Gallimard, Série Noire, 2007.Traduit par Francis Lefebvre et revu par Samuel Todd. 227 p.

Du même auteur sur ce blog : 911 ; Dernière saison dans les Rocheuses ;

Publié dans Noir américain

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V
Cet article m'a donné envie de découvrir Shannon Burke : en particulier cette phrase, "Juste la vie, ses sales coups, ses moments lumineux, son ennui et son urgence". Merci.
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Y
Oui, c'est un très beau livre. Tu pourras enchaîner avec 911, du même Shannon Burke, un peu plus âpre.
V
Je viens de tourner la dernière page et suis carrément émue, je ne m'attendais pas à cela. C'est dur mais cache une profonde sensibilité. Le rempart pour ne pas flancher.
Y
Je t'en prie. C'est sombre, pour le moins, souvent très dur, mais 911 comme Manhattan Grand-angle sont de beaux romans.