Or noir, de Dominique Manotti
Or noir marque le retour du commissaire Théodore Daquin, apparu initialement dans Sombre sentier, puis À nos chevaux ! et Kop. Un Daquin plus jeune puisque nous somme en mars 1973, qu’il a tout juste 27 ans et qu’il débarque à Marseille pour occuper son premier poste. Un Daquin qui est surtout ici, grâce au regard extérieur et raisonnablement candide qu’il porte sur cette ville à laquelle il ne connaît rien, le révélateur des petits arrangements en place, de la corruption à l’œuvre et de la transformation du Milieu local.
Car en 1973 la French Connection est définitivement tombée et les truands qui se disputent l’héritage d’Antoine Guérini, mort en 1967, se dessoudent allègrement. Chargé d’enquêter sur la mort de Maxime Pieri, ancien du clan Guérini devenu armateur, Daquin comprend vite que l’on attend surtout de lui qu’il classe l’affaire. Mais, les circonstances aidant – un autre meurtre qui occupe le directeur de la police, la mort suspecte de l’associé de Pieri – le jeune commissaire et sa petite équipe avancent. À quelques mois du choc pétrolier, alors que les intérêts des membres de l’OPEP divergent, certains ont compris dans quel genre d’affaires il convient de placer son argent pour peu que l’on dispose de bons réseaux d’informateurs. Et d’autres encore ont compris comment ce commerce en plein boom peut permettre de blanchir l’argent sale.
C’est tout ce magma de relations troubles que vient remuer Daquin et que Dominique Manotti s’emploie à décrypter. Méticuleusement documenté, Or noir décrit ainsi les rouages de cette économie souterraine et les réseaux qui sont en œuvre dans cette Marseille où les frontières entre légalité et illégalité, milieux politiques, criminels et policiers sont mouvantes. De quoi perturber Daquin mais pas forcément ceux avec qui il travaille ou qui connaissent intimement la ville :
« -Marseille est une ville terrifiante. Tout le monde se connaît, tout le monde se surveille, tout se sait et rien ne sort.
-Je vais le dire d’une autre façon : c’est une ville remarquable par la densité de son tissu de relations sociales. »
Menée intelligemment et intelligiblement, l’intrigue d’Or noir séduit grâce à la capacité qu’a Dominique Manotti à décrire les faits, les relations complexes qui se jouent, les tensions au sein de services de police gangrénés par la collusion avec le Milieu ou par le SAC, les jeux de pouvoir, sans pour autant porter un jugement définitif ou placer arbitrairement d’un côté les bons et de l’autre les mauvais. Elle montre combien ces frontières entre le bien et le mal, entre l’honnêteté, la corruption et les moments où l’on détourne les yeux sont mouvantes. Peut-être pourra-t-on regretter parfois que certains personnages ne soient pas assez incarnés où qu’ils le soient un peu artificiellement, mais il n’en demeure pas moins que l’on est là face un très bon roman politico-policier. Un de ses livres que l’on prend plaisir à lire parce qu’il nous apprend des choses sans pour autant se montrer lénifiant.
Dominique Manotti, Or Noir, Gallimard, Série Noire, 2015.
Pour en savoir plus sur Daquin et sur l’œuvre de Dominique Manotti, on peut lire l’article très complet de Christophe Dupuis, ICI.