Un été avec Tim Dorsey (3) : Orange Crush
Marlon Conrad est un sombre crétin. Il est aussi vice-gouverneur de Floride, ceci pouvant sans doute expliquer cela. Il a jusqu’ici fait son boulot consciencieusement en s’arrangeant pour que les lois votées profitent à ses généreux donateurs et en passant le plus clair de son temps à pêcher le tarpon sur son jeu vidéo favori. La mort du gouverneur en poste lors d’un tragique accident d’avion piloté par une escort-girl propulse Marlon Conrad à la tête de son État, pour le plus grand bonheur de son papa et de ses amis lobbyistes.
Alors que la prochaine campagne électorale va commencer, tout semble donc aller pour le mieux, si ce n’est que Marlon Conrad n’a jamais rempli ses obligations militaires. Pensant bien faire, afin d’éviter de donner des armes à son futur adversaire – le démocrate Gomer Tatum, accro aux hot dogs – ses conseillers le convainquent de faire son service pendant quinze jours en tant que réserviste dans une planque quelconque. Cela juste au moment où l’OTAN décide d’intervenir au Kosovo où le gouverneur est malencontreusement envoyé.
De retour de cette traumatisante expédition militaire, Marlon Conrad a changé : il s’intéresse au sort des minorités, des pauvres et, même, commence à lire et à remettre en cause la sacro-sainte chaise électrique. C’est au volant d’un camping car qu’il va mener sa campagne aux quatre coins du Sunshine State, accompagné de son conseiller Gottfried Escrow, profondément désespéré par l’attitude de son patron, et de son attaché de presse, Muntjack Pimento, amnésique engagé par Escrow et féru d’histoire de la Floride. C’est le début d’une épopée homérique où l’on croisera une brésilienne tueuse en série, John McEnroe, des vieillards fanas de catch, des Américains moyens qui font l’amour déguisés en castors, Erik Estrada, le service d’ordre des Rolling Stones, une riche héritière qui se sert de son don de ventriloquie pendant les moments intimes, et Serge A. Storms.
Troisième roman de Tim Dorsey, Orange Crush est en fait le quatrième épisode de la geste de Serge A. Storms. Vous y rencontrerez donc des personnages et y trouverez des allusions à des événements que vous ne découvrirez que dans Triggerfish Twist. À moins bien sûr qu’un impérieux besoin d’ordre vous incite finalement à lire Triggerfish Twist avant Orange Crush, au risque de perdre un peu de ce qui fait tout le charme de l’œuvre de Tim Dorsey : un joyeux bordel pourtant très bien organisé par l’auteur qui fait mine de nous égarer mais nous ramène toujours sur le droit chemin.
Survitaminé, complètement barré, mais pas du tout dénué de sens dans l’État de Jeb Bush, ce roman tient ses promesses malgré l’apparition tardive de Serge A. Storms. On fera bien sûr le lien entre le personnage de Marlon Conrad et celui de Skink, l’ancien gouverneur tueur de connards, des romans de Carl Hiaasen : l’occasion d’étendre ses connaissances à propos de l’État le plus déjanté d’Amérique – où même les chiens peuvent espérer décrocher un poste de présentateur de la météo – grâce à un autre auteur qui n’est pas piqué des vers lui non plus.
Tim Dorsey, Orange Crush, Rivages/Thriller, 2005. Traduit par Jean Pêcheux.
Du même auteur sur ce blog : Florida Roadkill, Hammerhead Ranch Motel, Triggerfish Twist ; Stingray Shuffle ; Cadillac Beach ; Torpedo Juice ;