Terminus Belz, d’Emmanuel Grand
Marko Voronine a voulu quitter l’Ukraine pour trouver une vie meilleure en France. Mais le voyage dans la remorque d’un camion tourne mal lorsque les passeurs essaient d’abuser de la jeune fille du groupe de clandestin auquel appartient Marko. Poursuivi par un groupe mafieux roumain, le jeune ukrainien tente de se faire oublier sur Belz, petite île de pêcheurs au large de Lorient.
Difficile toutefois de passer inaperçu sur ce cailloux battu par les vents et les marées lorsque l’on est un étranger et que l’on prend la place d’un habitant du coin en se faisant embaucher sur un bateau de pêche. Le danger rôde et s’approche, que ce soit sous les traits de Dragos le tueur roumain où sous ceux, bien plus effrayants, de l’Ankou, ange de la mort dont peu d’habitants de Belz doutent de l’existence.
Avec son premier roman, Emmanuel Grand a décidé de jouer la carte de la complexité et avec le feu en mêlant ainsi croyances populaires, quasi huis-clos sur une île presque coupée du monde, et réseaux mafieux d’Europe de l’Est. Si tout cela est incontestablement original, c’est tout aussi indubitablement casse-gueule et c’est avec la crainte de voir l’intrigue s’enliser dans le thriller ésotérique mâtiné de publicité Petit Navire que l’on a ouvert Terminus Belz.
Bien nous a pris, pourtant, d’engager cette lecture qui, disons le tout de suite, s’est avérée finalement bien agréable. Cela tient avant tout à trois éléments dont Emmanuel Grand a su s’assurer la maîtrise.
C’est d’abord l’atmosphère étouffante de l’île, véritable forteresse avec ce que cela comprend en termes de protection et d’enfermement. Catapulté dans ce vase clos, Marko, l’étranger, perturbe le quotidien des îliens, cristallise curiosité et méfiance et se trouve confronté à une communauté sur laquelle pèse le poids des légendes traditionnelles, d’une religion à laquelle viennent se mêler les croyances païennes.
C’est ensuite les personnages de Marko, Joël et Papou, les plus aboutis de tous. Complexes, agités par de violents conflits intérieurs, ils sont la colonne vertébrale de l’ouvrage, ceux qui lui donnent véritablement de la chair.
C’est enfin, et on peut le saluer, la capacité à jouer avec les apparitions de l’Ankou sans pour autant – ou presque – verser dans le grand guignol. Cette relative finesse dans l’utilisation du fantastique est pour beaucoup dans la réussite de l’ouvrage.
Alors certes, Terminus Belz n’est pas exempt de défauts, en particuliers des situations et des personnages parfois très clichés (Dragos en premier, l’histoire d’amour entre Marko et Marianne…) et un ultime rebondissement un peu trop tiré par les cheveux pour nous ; mais il n’en demeure pas moins que, malgré tout, Emmanuel Grand sait agripper le lecteur, lui faire avaler sans broncher le volet fantastique de l’ouvrage et le retenir grâce à un suspense intelligemment instillé. À cela vient s’ajouter une description particulièrement vivante de la nature, des sensations –on peut d’ailleurs sur ce point saluer le talent de conteur de l’auteur – et, en filigrane, une intéressante description de la société avec cette peur et cette méfiance de l’étranger, ainsi que la situation difficile de pêcheurs à la merci non seulement des éléments mais aussi d’Intermarché.
Mêlant habilement tradition et modernité, hyperréalisme et fantastique, Terminus Belz se révèle finalement un livre prenant, séduisant malgré ou grâce à ses défauts, et, donc, une agréable découverte.
Emmanuel Grand, Terminus Belz, Liana Levi, 2014.