La Tristesse du Samouraï, de Víctor del Árbol
Entre 1941 et le début des années 1980, entre Espagne franquiste et Espagne de la transition démocratique, Víctor del Árbol dépeint les trajectoires de familles et de personnages hantés par un passé qui continue de distiller son venin dans le présent.
María, brillante avocate idéaliste qui s’est spécialisée dans la poursuite des nervis du franquisme et des abus policiers se trouve ainsi propulsée au milieu d’une intrigue qui, très vite, la dépasse en ce qu’elle va mettre en avant la face sombre de sa propre famille et remettre en cause son propre jugement en la poussant à collaborer avec l’homme qu’elle a envoyé croupir en prison dans l’affaire qui a lancé sa carrière. Et, derrière ce paravent, s’agitent encore d’autres personnages qui cherchent à manipuler ces deux protagonistes. Certains pour enterrer le lourd passé d’une histoire familiale tragique, d’autres pour réclamer vengeance, d’autres encore pour influer sur l’histoire de leur pays.
La Tristesse du Samouraï est donc un roman extrêmement touffu et complexe. Et l’une des réussites de l’auteur est de ne pas écraser le lecteur sous cette avalanche d’informations et de protagonistes. En effet, del Árbol réussit plutôt bien à tenir son cap et à dévider sa pelote dans le labyrinthe de son intrigue sans jamais nous y perdre. Autre qualité de ce roman, et pas des moindres, l’ambition de traiter à travers cette saga familiale morbide de pans importants de l’histoire espagnole : la manière dont le régime franquiste à posé sa chape de plomb sur le pays et évité de l’engager dans la guerre tout en ménageant son allié allemand, et surtout la difficulté, après la mort du caudillo, avec laquelle la démocratie a pu exister de nouveau au prix, cher payé, du recyclage des anciens complices du régime franquiste dans les nouvelles institutions.
Toutefois, les défauts du roman sont proportionnels à ses qualités. Car si l’arrière-fond est passionnant, l’intrigue elle-même se révèle décevante dans son traitement. En effet, Víctor del Árbol se laisse aller à la facilité en mettant en scène des personnages bien trop caricaturaux dans des situations qui le sont tout autant. À trop vouloir faire dans le pathos, il accumule les scènes d’horreurs gratuites et les malheurs qui touchent les personnages : cancers à répétition, viols, séquestration, incendies criminels, défigurations, meurtres sadiques, tortures…
Cet abattage de scènes violentes et de coups du destin touchant les personnages et les coïncidences trop nombreuses pour être honnêtes viennent annihiler la finesse que Víctor del Árbol aurait pu donner à sa trame en parlant de la manière dont les blessures du passé peuvent rester ouvertes. À vouloir trop en faire, à vouloir peut-être aussi satisfaire les penchants morbides d’une bonne part du lectorat, l’auteur fait basculer son roman du côté du thriller de deuxième zone là où il disposait pourtant de la matière pour faire un livre bien plus intéressant et bien plus fin.
Alors oui, on prend parfois un réel plaisir à cette lecture, mais, en fin de compte, ce plaisir est bien trop souvent contrebalancé par la lourdeur de la surenchère violente et des raccourcis pris pour faire avancer l’intrigue. Et c’est avec une certaine frustration que l’on referme ce roman.
Víctor del Árbol, La Tristesse du Samouraï (La tristeza del Samurái, 2011), Actes Sud, 2012. Traduit par Claude Bleton.
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