L’irremplaçable expérience de l’explosion de la tête, de Michael Guinzburg
Roger Lymon, critique d’art aussi incompétent que cupide, est chargé par un éditeur japonais initialement spécialisé dans les ouvrages sur le karaté de réaliser une biographie de Jackson Pollock qui mettrait en avant de supposées tendances homosexuelles et pédophiles chez l’artiste.
Pour ce faire, Lymon se rend à Cashampton by the Sea, dernière résidence de Pollock où vit en vase clos une jet set dont beaucoup de membres ont connu le peintre. C’est là qu’il fait la connaissance du mystérieux John Dough, nouvelle coqueluche des lieux qui s’est enrichi en vendant des perles censément venues de Turquie et qui s’essaye à écrire la biographie romancée de Gilbert Schwartz, garçon d’écurie du très select club hippique de la ville atteint d’une acné tenace et ravageuse, mort dans des circonstances troubles et pleuré par tous les dermatologues du pays. C’est aussi là qu’il découvre une maladie sexuellement transmissible qui ravage la société huppée de Cashampton et qui se manifeste subitement par des crises de hoquet suivies d’une irrémédiable explosion de la tête des personnes contaminées.
Dans ce roman à l’intrigue tortueuse – et un brin foutraque – dans lequel se croisent une telle multitude de personnages que l’on peine parfois à s’y retrouver, Michael Guinzburg se lance bille en tête dans une ravageuse critique du milieu fermé de l’art contemporain, de ses pique-assiettes, de ses faire-valoir, de ses riches sponsors et de ses artistes lancés dans une surenchère provocatrice depuis que, ainsi que semble être la thèse de Guinzburg, l’art a cessé d’être de l’art pour devenir seulement un business après la mort de Pollock et l’arrivée de Warhol sur le devant de la scène.
Dans ce monde fonctionnant en circuit fermé, qui se cannibalise et se livre à un inceste aussi bien moral que physique, les tares se transmettent de génération et génération pour aboutir à une société dégénérée dans laquelle plus aucune pureté n’a sa place et où plus aucune hiérarchie dans l’horreur et la déviance ne semble plus exister. Ici, toute trace d’amitié ou d’amour sincère n’est plus que faiblesse et seuls les plus cyniques et cupides tirent leur épingle du jeu, même si l’autodestruction de ce microcosme semble proche avec la diffusion de l’irremplaçable expérience de l’explosion de la tête.
Zoophilie, inceste, racisme, trahison, sont le revers de l’image policée donnée par Cashampton by the Sea, la version guinzburgienne de Springs, ou vécut – et mourut – réellement Pollock.
Si l’outrance de Guinzburg se révèle souvent jubilatoire et réserve de grands moments d’ironie et de cynisme, l’auteur tend cependant souvent à perdre son lecteur dans les méandres de sa galerie de personnages et d’une intrigue qui semble parfois écrite au fil de la plume et prend alors elle-même la forme d’une histoire totalement explosée, malgré une indéniable cohérence de l’ensemble.
C’est dire si l’abord de ce roman n’est pas des plus faciles et qu’il laisse sans doute pas mal de lecteurs sur le bord du chemin. Ceux qui s’y laisseront prendre auront toutefois l’occasion de lire un livre certes brouillon et sans doute un peu pompeux, mais qui a pour lui d’être véritablement original et inclassable. Pour notre part, on serait bien en peine de dire si l’on a aimé ou pas cette lecture, mais on ne la regrette pas.
Michael Guinzburg, L’irremplaçable expérience de l’explosion de la tête (Top Of The World, Ma !, 1996), Gallimard, La Noire, 1997. Traduit par Daniel Lemoine.
Du même auteur sur ce blog : Envoie-moi au ciel, Scotty .