Temps noirs, de Thomas Mullen
C’est deux ans après les événements décrits dans Darktown que se déroulent ceux de Temps noirs. Nous sommes donc en 1950, toujours à Atlanta et la brigade d’ « officiers nègres » chargée de patrouiller dans les quartiers noirs de la ville se trouve confrontée à une affaire qui risque de les dépasser. En l’espèce, ils se trouvent mêlés à une fusillade contre des bootleggers dans laquelle des criminels restent sur le carreau. Des criminels dont il n’est pas impossible qu’ils soient en cheville avec des officiers de police blancs. Dans le même temps, l’officier Rakestrow, policier blanc et allié discret et de circonstances des officiers noirs Boggs et Smith, a deux problèmes. D’un côté son beau-frère, Dale, membre du Ku Klux Klan, a été mêlé au passage à tabac d’un banquier blanc dans lequel un de ses collègues klansmen a été abattu. D’autre part, l’arrivée dans son quartier résidentiel de trois familles noires, dont celle de la sœur de Smith, attise les tensions.
On retrouve dans Temps noirs tous les éléments qui faisaient le charme du premier volume de la série. Thomas Mullen réussit en effet encore une fois à aborder la question de la ségrégation raciale dans le Vieux Sud en évitant le piège de la caricature. Il y a certes un sacré paquet de racistes bas du front, mais aussi des hommes comme Rakestraw ou le lieutenant McInnis qui, sans être forcément des militants des droits civiques, essaient d’avancer dans un département de police et une société foncièrement racistes sans pour autant trahir leurs valeurs. De l’autre côté, les officiers noirs et les habitants de Darktown ne constituent pas non plus une masse indifférenciée. On y trouve des criminels et d’honnêtes gens, des pauvres et des riches et, d’une manière générale, des personnes qui doivent là aussi faire des compromis entre leur morale personnelle et ce que les événements les poussent à faire. À ce titre, le personnage de Jeremiah que l’on découvre dans une éloquente scène d’ouverture est exemplaire.
Thomas Mullen réussit une fois de plus à allier avec bonheur le fonds politique, historique et social avec le polar. Ses héros évoluent tous dans une zone grise qui les pousse à se confronter incessamment à des dilemmes moraux et c’est ce qui rend cette série de romans aussi passionnantes. On pourra parfois trouver que les atermoiements sentimentaux de Lucius Boggs sont un peu trop répétitifs et certainement que le dénouement de ce volume joue trop sur les heureux hasards qui mènent à une résolution un peu tirée par les cheveux. Il n’en demeure pas moins que l’on passe là un très agréable moment de lecture, aussi divertissant qu’instructif.
Thomas Mullen, Temps noirs (Lightning Men, 2017), Rivages/Noir, 2020. Traduit par Anne-Marie Carrière. 463 p.
Du même auteur sur ce blog : Darktown ; Minuit à Atlanta ;