Du sang sur l’asphalte, de Sara Gran
Lire la série de romans de Sara Gran mettant en scène Claire DeWitt, autoproclamée meilleure détective du monde, est un jeu. Un jeu dont on ne comprend pas forcément toutes les règles mais dans lequel on prend un véritable plaisir à se laisser entraîner avec le risque, toutefois, si la partie va trop loin, de s’y perdre un peu.
Du sang sur l’asphalte commence en 2011 à Oakland lorsque Claire DeWitt échappe à une tentative de meurtre. Une Lincoln noire est venue délibérément emboutir sa voiture avant de fuir. Qui veut sa mort et pourquoi ? Ce sera pour Claire, qui aime à nommer chacune de ses affaires, le Mystère de l’autoroute infinie.
Après les deux précédents romans de cette série qui, déjà, mêlaient une enquête aux souvenirs d’adolescence de l’héroïne dans les années 1980 à Brooklyn, Sara Gran continue à enchevêtrer des histoires en y ajoutant cette fois une autre enquête, menée à Los Angeles en 1999 à propos de la mort d’un artiste. Ce faisant, Gran abandonne de plus en plus les faux-semblants : les enquêtes de Claire DeWitt apparaissent plus encore ici que précédemment pour ce qu’elles sont vraiment, des prétextes à la détective pour enquêter sur elle-même. Autant dire que si après avoir lu La ville des morts et La ville des brumes le lecteur compte encore trouver une intrigue classique et une résolution claire, il en sera pour ses frais. Ce que propose Sara Gran, c’est la quête de soi de son héroïne. Seule, minée par la culpabilité, c’est après elle-même que court Claire DeWitt et c’est en fin de compte les parties consacrées à son adolescence, à la disparition de son amie d’enfance et à la mystérieuse brochure pour apprentis détectives qu’elles lisaient alors qui sont le cœur du roman. Bien plus que la seule enquête un tant soi peu classique, celle sur la mort du peintre Merritt Underwood, même si là encore, le moins que l’on puisse dire est que méthode d’investigation et résolution sont peu orthodoxes.
Du sang sur l’asphalte a, de manière accentuée les qualités et les défauts des précédents volumes de la série : une atmosphère qui frôle le fantastique, une héroïne hors du commun à la personnalité complexe voire ambigüe, de l’humour, un refus assumé et plutôt amusant de la logique commune mais aussi une tendance à la répétition et ouvrir des voies qui resteront inexplorées, au risque d’égarer le lecteur dans les méandres d’une intrigue dont on se demande si l’auteure elle-même sait où elle mène.
On suit donc sans déplaisir et même parfois avec une véritable satisfaction Claire DeWitt dans ses pérégrinations, on se laisse emporter dans ses digressions tour à tour émouvantes et amusantes mais, il faut l’admettre, on se sent parfois perdu et, en refermant le roman, on se dit que si le voyage n’a pas été vain, il aurait peut-être mérité parfois d’être plus direct.
Sara Gran, Du sang sur l’asphalte (The Infinite Blacktop, 2018), Le Masque, 2020. Traduit par Claire Breton. 288 p.
Du même auteur sur ce blog : La ville des morts ; La ville des brumes ;