Dirty week-end, d’Helen Zahavi

Publié le par Yan

Jeune femme discrète, Bella vit à Brighton une vie terne : « Elle aimait lire les petites annonces, pour voir ce que la vie avait à offrir. Il existait tout un monde là au-dehors et, chose curieuse et réconfortante, il n’avait pas l’aire beaucoup mieux que le sien. Pas aussi moche, mais pas beaucoup mieux. » Ce monde moche le devient un peu plus encore quand son voisin d’en face commence à la harceler et à la menacer. Jusqu’à présent, Bella a enduré sa vie, a subit en silence et peut-être aurait-elle pu continuer ainsi :

« Bella aurait pu avoir une réaction décente. Elle aurait pu réagir comme les gens décents. Elle aurait pu remplir son petit ventre rond de barbituriques, ou bien se jeter, avec une belle désinvolture, du haut d’une tour. Les gens auraient trouvé cela triste, mais pas inconvenant. "Ah, pauvre Bella, auraient-ils soupiré, en jetant ses restes dans la terre à l’aide d’une pelle. Sans doute n’en pouvait-elle plus", auraient-ils dit. Au moins avait-elle eu la décence de réagir avec décence. »

Mais Bella choisit un jour une autre voie. Elle ne se laissera plus considérer comme une enveloppe destinée à accueillir les fantasmes violents d’hommes persuadé que tout est la faute des femmes. Son pervers narcissique de voisin va en faire les frais le premier. Et dans le week-end qui suit, d’autres encore vont avoir le déplaisir de croiser une Bella déterminée à ne plus jamais être une victime.

À sa parution en 1991, Dirty week-end fait scandale. Lu comme un appel à l’autodéfense et à la justice expéditive, il a droit à une médiatique demande d’interdiction de la part d’une députée qui y voit un livre immoral, est attaqué dans la presse, y compris par Salman Rushdie, et est adapté en 1993 au cinéma par Michael Winner, réalisateur de la série de films Un justicier dans la ville, avec Charles Bronson. Tout est là pour faire du roman d’Helen Zahavi une œuvre réactionnaire et amorale.

Ça n’est pourtant pas le cas. Dirty week-end est un livre provocateur, c’est certain. Une dénonciation violente de rapports hommes-femmes dans lesquels les premiers exercent leur domination sur les secondes, c’est tout aussi certain. Helen Zahavi inverse les rôles. Pour une fois, une femme réagit : Bella rend aux hommes qu’elle croise ce week-end là toute la violence qu’elle a subie. Ce retournement de la violence est montré avec crudité, sans filtre, et ce qui est peut-être le plus dérangeant, c’est que Bella n’est ni une femme fatale, ni une femme-objet. Elle est une femme ordinaire qui n’en peut plus, qui a ses propres failles, qui a vécu une vie qui n’a rien de modèle et qui n’est elle-même pas un modèle. La scène de sa rencontre avec Nimrod, immigré iranien tout juste reconverti dans la voyance, est révélatrice de l’ambigüité de Bella qui tente là d’exercer sa propre domination sur un personnage dans lequel elle ne voit, quand il la pousse dans ses retranchements, qu’un être inférieur puisqu’étranger et, à ce titre, citoyen de troisième zone.

En forçant le trait, en accentuant la violence – tempérée cependant par un humour corrosif – Helen Zahavi écrit un roman qui recèle une certaine dimension cathartique et se révèle souvent dérangeant. Helen Zahavi pose clairement la question de la légitimité de cette violence dans un rapport de domination qui devient un rapport de forces. Pour autant, on ne peut certainement pas dire que cette violence soit forcément présentée comme une solution, ou une fin en soi. Elle donne par contre à réfléchir sans apporter de solution prémâchée.

Par ailleurs, et cela ne gâche rien, le ton distancié que donne Helen Zahavi à son récit, l’ironie cruelle qui en ressort, l’écriture très travaillée, font de Dirty week-end un roman qui n’est pas seulement un brûlot, mais bien aussi un excellent livre dans lequel le plaisir de la lecture le dispute à la sidération. C’est tout cela qui en fait, à sa manière, un livre culte dont on ne peut que se féliciter qu'il soit à nouveau disponible.

Helen Zahavi, Dirty week-end (Dirty Week-End, 1991), Pocket, 1992, rééd. Libretto, 2000. Traduit par Jean Esch. 211 p.

Merci à Olivier pour le conseil de lecture.

Publié dans Noir britannique

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Z
Le côté provocateur et l'idée de départ me tente bien. Après je préfère la violence suggérée que décrite dans un roman et du coup j'hésite pour cette lecture...
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