La nature des choses, de Charlotte Wood

Publié le par Yan

Une dizaine de jeunes femmes se réveillent un jour prisonnières dans des bâtiments vétustes perdus dans l’outback australien et entourés d’une immense clôture électrifiée. Crânes rasés, battues par leurs geôliers, forcées d’effectuer des travaux épuisants, Verla, Yolanda et les autres ont en commun d’avoir été a des niveaux divers des sortes d’icônes féminines, des femmes fortes ou qui ont osé dénoncer les agressions qu’elles ont subies. C’est tout ce que l’on saura d’elles et l’on n’en apprendra pas beaucoup plus de leurs gardiens et tortionnaires, Boncer le sadique, Teddy le rasta blanc adepte de nourriture macrobiotique et Nancy l’infirmière de carnaval.

Aux travaux forcés succède l’attente. Celle d’Hardings, propriétaire des lieux censé les réapprovisionner. Mais Hardings n’arrive jamais, la nourriture vient à manquer, et tandis que les femmes, Yolanda en tête, s’émancipent peu à peu pour assurer la subsistance de tous, ceux qui les gardent glissent lentement de leur piédestal.

L’outback australien, ce désert peuplé de kangourous, de dingos, de serpents, de lapins et de quelques humains étranges est propice aux récits angoissants. On pense nécessairement, côté roman noir, au Cul-de-sac de Douglas Kennedy, ou, pour le cinéma, à Wolf Creek ou Razorback. Autant dire des œuvres qui, pour aussi amusantes qu’elles puissent être, ne brillent pas non plus forcément par leur subtilité. Et c’est un peu la crainte que l’on a en abordant La nature des choses. Préventions vite levées toutefois par la direction que prend le roman dès les premières pages en s’attardant moins sur cet environnement qui pour aussi important qu’il soit dans la mise en scène n’est bien que prétexte à évoquer l’enfermement de ces dix femmes et trois gardiens au milieu de nulle part et, pour Verla et Yolanda un enfermement intérieur aussi violent que, paradoxalement et en fin de compte, libérateur.

Charlotte Wood, dans ce roman, a le talent de trouver un parfait équilibre. Entre, d’un côté un message militant – cette prison comme une parabole à propos de la condition féminine dans nos sociétés qui fait par ailleurs écho, bien qu’écrit avant, au mouvement #metoo, en mettant en avant non seulement le mélange de fascination à l’égard des femmes tant qu’elles ne sont que des corps et de crainte face à leur émancipation, mais aussi la manière dont cela a aussi été intégré par les femmes elles-mêmes – et de l’autre la mise en place d’un dispositif de suspense particulièrement bien troussé. Enfin, l’ensauvagement de ces femmes livrées à elles-mêmes n’apporte pas de morale toute faite et peut aussi bien être pris comme une sorte de libération qu’un autre emprisonnement. Surtout, il montre que si des solutions collectives peuvent exister, elles ne peuvent ignorer le libre-arbitre de chaque individu.

Tout cela fait de La nature des choses un roman mystérieux et fascinant. Et si l’on pourra peut-être regretter que le mystère initial – qui a enfermé ces femmes, dans quel but – qui plante l’ambiance du roman finisse par affaiblir la conclusion du récit, il n’en demeure pas moins que ce livre arrive avec une véritable virtuosité à conjuguer une forme originale et terriblement efficace et un fond réellement intelligent qui pousse le lecteur à la réflexion.

Charlotte Wood, La nature des choses (The Natural Way of Things, 2015), Éd. du Masque, 2017. Rééd. Livre de Poche, 2018. Traduit par Sabine Porte. 309 p.

Publié dans Noir océanien

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