Écorces vives, d’Alexandre Lenot
Quelque part dans le Massif Central, dans des lieux qui pourraient presque sembler oubliés des hommes, une petite ville périclite. Elle a sa bretelle d’autoroute qui dessert sa zone industrielle sur le retour, son centre gris aux rues désertes le soir… une sociabilité qui tient encore par le souvenir des temps d’avant mais qui est de plus en plus sapée par les vieilles haines d’autant plus recuites que ceux qui restent ce sont surtout ceux qui n’ont jamais pu partir. C’est là pourtant que débarque Eli avec ses airs de vagabond dégingandé, pour brûler une ferme à l’abandon, instillant un peu plus de crainte et de méfiance en ces lieux. C’est aussi là que Louise est venue s’isoler dans la ferme d’Andrew et Fiona, un vieux couple d’Américains. C’est là encore que le capitaine Laurentin finit sa carrière de gendarme.
En même temps que la peur s’installe, Alexandre Lenot, dans une très belle première partie, fait doucement monter la tension. Passant d’un personnage à l’autre, Eli, Laurentin, Louise, mais aussi Jean, le paysan taiseux et violent et Lison la jeune veuve, il pose par petites touches des éléments inquiétants annonciateurs d’un drame à venir. Le point commun de tous ces personnages, hormis Jean, c’est de ne pas être d’ici. Dans un pays qui se vide et dépérit, leur arrivée pourrait être une bénédiction. Elle n’inspire pourtant que la méfiance et une haine sourde que l’on sent prête à éclater. Et la bascule aura bien lieu.
Des comptes doivent être réglés, une violence rentrée ne demande qu’à sortir et les nouveaux venus sont autant de possibles victimes expiatoires. C’est dans cette seconde partie, celle où éclate cette violence, qu’Alexandre Lenot nous convainc un peu moins. Les gens du crû ne sont qu’une masse brute, brutale et abrutie, mus uniquement par le besoin de faire payer les nouveaux venus pour leurs malheurs. Parce qu’ils sont là, tout simplement, et que l’on a bien envie de tuer quelqu’un. Les victimes désignées, de leur côté, entendent non seulement vendre chèrement leur peau mais encore changer ce pays, au moins symboliquement, pour en faire peut-être le lieu de tous les possibles. Des possibles qui, bien entendu, ne peuvent coexister avec cette population dégénérée. Au milieu de tout cela, Laurentin essaie de faire respecter la loi à ses risques et périls, ce qui débouche sur une ultime partie dans laquelle Alexandre Lenot semble rejouer un western quelque part entre fort Alamo et La Horde sauvage.
Premier roman, Écorces vives est porteur de grandes promesses. Lenot polit les mots avec talent, s’y entend pour donner vie à un paysage et mettre en place ses personnages, ne démérite pas dans les scènes d’action. Peut-être toutefois s’est-il un peu trop laissé aller à l’exercice de style, au point d’oublier souvent la nuance – en particulier dans l’opposition caricaturale entre ceux du dedans et ceux du dehors – et a-t-il trop voulu aborder de sous-thèmes sociétaux – la crise de la France périphérique, les ZAD, l’accueil des étrangers, les agressions contre les femmes, l’homosexualité… – qui finissent, par effet d’accumulation, par devenir indigestes.
On reste donc partagé sur ce roman dans lequel on trouve autant de matière à se réjouir de l’arrivée de cette nouvelle plume dans le noir français, que de regrets de la voir se perdre parfois dans un récit par trop manichéen.
Alexandre Lenot, Écorces vives, Actes Sud, coll. Actes noirs, 2018. 206 p.