Sainte-Croix-les-Vaches, de Vincent Ravalec
Situé quelque part dans les Causses à plus d’une centaine de kilomètres de la première gare et près de quatre-vingts de la gendarmerie la plus proche, Sainte-Croix-les-Vaches, deux cents électeurs – pas tout jeunes – en zone blanche, est un village heureux d’être oublié du monde : « Le petit village d’Astérix, mais sans Romains autour. Juste une indifférence. Un oubli. ». Ignoré du monde mais bien en connexion avec lui, Sainte-Croix-les-Vaches est le Royaume de Thomas. L’homme a voyagé ; il a fait des études à Lyon et noué là-bas des liens avec une famille de bandits. De retour au pays il a lancé, avec l’aide du magot abandonné là par le vieux Monré, une florissante petite entreprise. La vieille imprimerie s’est reconvertie dans les faux papiers et la fabrication d’étiquettes aux couleurs du label « Agriculture Biologique » pour le cannabis produit sur le plateau et récolté par des clandestins roumains. L’objectif de tout cela est on ne peut plus simple : trouver les moyens de revenir aux temps arcadiques du patelin, à l’époque où Horace le sublime taureau fertilisait les vaches du canton et où la vie paraissait si simple. L’arrivée de Sheila, jeune député du mouvement « En avant ! » et de son assistante Jeanne, vient bousculer la vie tranquille et les affaires de Sainte-Croix-les-Vaches. Ambitieuse, Sheila veut s’extraire de la masse des nouveaux députés : son objectif, faire du Royaume de Thomas un Fab Lab avec parc naturel dans lequel serait réintroduit le loup avec, en appui au projet, la réalisation d’un film sur la relance des zones rurales délaissées avec les habitants du village comme héros.
Ainsi sous l’une des plus laides couvertures de livre de ces dernières années se révèle un roman original et faussement échevelé. Vincent Ravalec use en effet à l’envi des stéréotypes et de l’exagération pour mettre en scène cette communauté écartelée entre le monde moderne auquel elle s’est discrètement intégrée et les vieilles superstitions incarnées par les apparitions qui guident Thomas et les prophéties de Médée, et surtout pour confronter cet étrange village à la carriériste Sheila. Si Sainte-Croix-les-Vaches apparaît comme un village de carton-pâte, un décor dissimulant son lot d’activités illégales bien plus en phase qu’elle ne le croit avec le nouveau monde qu’incarne la députée, c’est bien cette dernière qui fini par sembler hors de la réalité, obsédée par des concepts aussi pompeux que factices.
De ces décalages et faux-semblants, Ravalec tire une comédie qui, si elle s’étire parfois un peu, est ponctuée de moments particulièrement réussis dans lesquels pointe sous le rire de façade, une vraie charge contre les publicitaires qui semblent contrôler aujourd’hui le monde à coup de slogans et de fausses idées originales, abandonnant à leur sort ceux qui ne peuvent entrer dans ce cadre. Pour autant, l’auteur évite le simple manichéisme, et la fascination réciproque qui naît entre les deux groupes qui se trouvent ici mêlés par les circonstances offre son lot de petites compromissions, des uns et de nécessaire intégration des autres.
S’achevant à la manière d’un roman-feuilleton annonçant une suite qui devra répondre à une multitude de questions, Sainte-Croix-les-Vaches est un roman faussement léger et vraiment amusant.
Vincent Ravalec, Sainte-Croix-les-Vaches, Fayard, 2018. 263 p.