Le Vieux Pays, de Jean-Pierre Rumeau
Le premier chapitre du roman de Jean-Pierre Rumeau est propre à éveiller la curiosité du lecteur. Un homme au prénom étrange, Pasdeloup Meunier, court sous la pluie dans le décor morne d’une banlieue qui semble à l’abandon et où il croise des personnages à peine esquissés qui, en ces lieux, paraissent un peu comme les survivants d’une apocalypse. On est au Vieux Pays de Goussainville, hameau presque abandonné au bout des pistes de l’aéroport de Roissy. Un lieu bien réel dont l’auteur a fait le royaume de Pasdeloup Meunier, démineur retraité méchant comme la gale et bien décidé à imposer sa loi sur cette ville semi-fantôme où se croisent les derniers habitants à s’accrocher à cet ensemble de maisons ruinées et les squatteurs.
Viendront ensuite, petit à petit, les flashbacks qui nous éclaireront sur le passé et les raisons de la présence de Pasdeloup en ces lieux et en filigrane la révélation progressive d’une intrigue criminelle mettant en scène petits dealers locaux et terroristes.
Il est difficile d’aller plus loin dans le résumé du Vieux Pays dont l’existence semble tenir d’abord à la volonté de l’auteur de mettre en scène un lieu éminemment étrange et, pour reprendre un adjectif de la quatrième de couverture, magnétique, ainsi qu’un personnage tout aussi mystérieux. Le reste venant se raccrocher à cela avec plus ou moins de succès et de crédibilité.
On peut bien entendu saluer la manière dont Jean-Pierre Rumeau dépeint le Vieux Pays de Goussainville, lui confère une aura de mystère et l’afflige du poids d’une menace latente. On est en droit d’être un peu plus circonspect sur le personnage de Pasdeloup Meunier. Fascinant par bien des aspects et notamment par sa capacité à détester ou à faire mine de détester tout le monde et d’imposer sa volonté aux habitants du hameau qu’il s’approprie peu à peu, il apparaît aussi alternativement trop monolithique puis, trop sympathique ou, à tout le moins trop enclin à un certain attendrissement vis-à-vis d’autres personnages au risque. De là l’impression de voir se bâtir un personnage dont la chair s’efface peu à peu au profit d’un héros par trop archétypal de vieux salopard au cœur tendre, une espèce de Clint Eastwood sur le retour.
Derrière tout cela, et à travers une intrigue pour le moins alambiquée, Jean-Pierre Rumeau développe une réflexion parfois ambigüe sur l’usage de la violence et sur la façon dont son personnage se substitue à la justice, ou à tout le moins, refuse la justice institutionnelle pour mieux l’exercer lui-même en son royaume. Les méchants en seront pour leurs frais et notamment des terroristes particulièrement retors qui semblent utilisés ici de la même manière qu’ailleurs on utilise le tueur en série comme une incarnation du mal absolu se fondant dans la masse pour mieux mener à bien ses plans machiavéliques.
Pas inintéressant, porté par quelques fulgurances et surtout par une ambiance de fin du monde et de bout du monde particulièrement bien rendue, Le Vieux Pays se révèle finalement assez banal dans son traitement des personnages et de son intrigue. « Un roman implacable qui marque la naissance d’un auteur », nous dit l’éditeur. On se permettra d’attendre encore un peu et un prochain roman pour véritablement en juger même si Jean-Pierre Rumeau a de toute évidence éveillé notre curiosité.
Jean-Pierre Rumeau, Le Vieux Pays, Albin Michel, 2018. 317 p.