La Daronne, de Hannelore Cayre

Publié le par Yan

Patience Portefeux a grandi dans une drôle de famille, entre père trempant dans des affaires louches et une mère évaporée. Quelques revers de fortune familiaux, et en particulier les décès de son père et de son époux ont poussé Patience à abandonner ses rêves d’enfant, une vie dans les palaces qui, à un moment, lui semblait possible. Elle est devenue une mère seule devant pourvoir à l’éducation de ses filles. Pour cela elle a profité de sa connaissance de la langue arabe pour embrasser la carrière précaire d’interprète pour les tribunaux. Elle a fini par déserter les prétoires – déprimants et révoltants – pour traduire les écoutes judiciaires. Et l’interprétariat pour la justice française est un drôle de travail :

« Sinon, j’étais payée au noir par le ministère qui m’employait et ne déclarait aucun impôt.

Un vrai karma, décidément.

C’est d’ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là même qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu ni retraite. Franchement, comme incorruptibilité on fait mieux, non ?

Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant. »

Corrompue, en effet, ou profitant à tout le moins de sa place, Patience a, durant une de ses innombrables écoutes sans intérêt de petits dealers bêtes comme leurs pieds, fini par tomber sur un vrai réseau bien organisé. Et elle s’arrange pour que l’arrestation échoue mais, dans l’opération, la livraison disparaît. Et Patience sait où elle est cachée. C’est l’occasion pour elle de trouver un moyen de payer l’EPHAD de sa mère et d’assurer l’avenir de ses filles. Pour cela elle va devenir La Daronne. Mais il n’est pas toujours simple de traiter la vente de shit avec des trafiquants aussi bêtes qu’obtus.

Roman d’un cynisme achevé qui balance avec humour autant sur le fonctionnement erratique et de la justice française que sur les prétentions criminelles de dealers élevés par un étrange mélange de téléréalité et d’islam rigoriste quand ça les arrange, La Daronne est un récit aussi acide qu’amusant. C’est aussi une charge bien menée sur la manière dont fonctionnent d’une manière générale une société du profit et des apparences dans laquelle on économise sur l’essentiel – la justice, la santé – tout en magnifiant les dépenses ostentatoirement inutiles. Hannelore Cayre la mène avec une énergie finalement très optimiste et avec toujours et pour chacun de ses personnages une réelle empathie qui n’exclut pas la critique, y compris vis-à-vis de son personnage principal et narrateur doté d’une grande capacité d’autodérision.

Il ressort de tout cela un roman très plaisant qui, sans bouleverser le genre ni être le grand roman que l’on a parfois dit ici ou là, touche juste et se révèle, en ces temps où le politiquement correct rampant ne cesse de gagner du terrain, salutaire par son cynisme enjoué.

Hannelore Cayre, La Daronne, Métailié Noir, 2017

Publié dans Noir français

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P
Salut Yan, bon, j'avais prévu de l'acheter et j'ai même failli le faire ce week-end. Tu confirmes, cette lecture est tout à fait pour moi ! Merci
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Y
Tu me diras, alors !