Bagdad, la grande évasion !, de Saad. Z. Hossain
Disons-le tout de suite, cela faisait longtemps que l’on n’avait pas lu un livre aussi échevelé, tordant et, par-dessus le marché, intelligent.
Cela commence pourtant comme une grosse farce s’ouvrant dans le Bagdad post-invasion américaine de 2003. Une ville dans laquelle règne l’anarchie la plus totale comme le montre la scène d’ouverture qui voit les deux anti-héros du roman, Dagr et Kinza, discuter du sort de leur prisonnier en énumérant les multiples milices auxquelles ils pourraient le livrer et celles qu’ils feraient mieux d’éviter. C’est d’ailleurs l’occasion de mieux faire la connaissance de Dagr, professeur d’économie au chômage technique reconverti dans le marché noir avec les soldats américains, et Kinza, brûlant de haine pour tout le monde, y compris pour lui-même, comme le lui rappelle son partenaire :
« Tu es un pur produit de ton espèce. Un défaitiste qui n’a besoin de personne pour se haïr (…). Tu détestes tout le monde : les sunnites pour le meurtre d’Hassan, les chiites pour avoir brisé la communauté des croyants, les Américains pour leur côté indécrottable, les Palestiniens parce qu’ils font la manche, les Saoudiens pour leur lâcheté. Et au final, tu pisses sur ce que te dicte ta raison, à savoir ton intérêt personnel ».
De l’autre côté, il y a Hoffman, soldat américain bête à manger du foin mais porté malgré tout par une sorte d’intelligence situationnelle qui l’aide à se tirer des pires situations – au détriment toutefois de ceux qui ont le malheur de l’accompagner.
Convaincus par leur prisonnier, Hamid, tortionnaire émargeant auprès de la Garde républicaine de Saddam avant que celui-ci ne se fasse la malle, qu’ils pourraient mettre la main sur un trésor dissimulé à Mossoul, Dagr et Kinza comptent bien, avec l’aide d’un Hoffman en quête d’armes de destruction massive, mettre les voiles et quitter l’asile à ciel ouvert qu’est devenue leur ville.
C’est à partir de là que leur histoire va prendre petit à petit la forme d’un étrange cocktail de roman d’aventures, d’épopée homérique ou de roman arthurien et de conte philosophique. Amenés à tenter de neutraliser pour le compte de la communauté d’un quartier dans lequel ils sont réfugiés, un tueur en série auquel la rumeur populaire prête des pouvoirs fantastiques, ces pieds nickelés vont se trouver aux prises avec des miliciens intégristes, des savants fous, une secte islamique secrète, des alchimistes et peut-être même des djinns et des divinités grecques.
Car si l’on est dans les années 2000 et que le monde est singulièrement agité, Bagdad est assise sur plus de mille ans d’histoire ; une histoire qui n’a pas dit son dernier mot mais qui commence à singulièrement désespérer des humains.
Difficile d’en dire plus sur l’intrigue sans raconter le livre. Mais on peut saluer la manière dont Saad Z. Hussain arrive à conjuguer humour noir, érudition et réflexion sur le sens de l’histoire, mais aussi son art consommé du contrepied, qui le voit couper les moments les plus tragiques à l’aide de dialogues délirants ou grossiers, les scènes d’actions par d’inattendus moments de tendresse ou les envolées philosophiques par des retours brutaux à une réalité on ne peut plus prosaïque.
Tout cela fait de Bagdad, la grande évasion ! un roman unique, totalement fou et pourtant d’une rare lucidité.
« C’est la guerre. On vous tue. Vous nous tuez. Qui ça dérange ? L’important, c’est de le prendre avec le sens de l’humour. »
Saad Z. Hossain, Bagdad, la grande évasion (Escape from Bagdad !, 2013), Agullo Éditions, 2017. Traduit par Jean-François Le Ruyet. 374 p.