Récit d’un avocat, d’Antoine Brea
Nouvelle collection du Seuil consacrée au roman noir dans laquelle se fond l’ancienne collection Seuil Policiers, Cadre Noir commence sur les chapeaux de roues avec deux auteurs américains reconnus, Clayton Lindemuth et William Gay et, c’est là la nouveauté, un jeune auteur français, Antoine Brea.
Court roman, Récit d’un avocat, comme son titre l’indique, est la recension à la première personne d’une affaire suivie par un jeune avocat. Celui-ci, après des études de droit, a un peu travaillé dans la fonction publique avant de passer l’examen du barreau et de finalement occuper un poste technique subalterne et répétitif jusqu’à l’ennui dans un cabinet d’avocats. C’est là qu’une correspondante de prison croisée dans sa précédente carrière le retrouve et lui demande de se saisir du dossier d’un jeune kurde emprisonné à la suite d’un fait divers sordide.
Il y a bien entendu l’affaire. Le crime abject, la double peine qui s’ensuit pour Ahmet, le dossier fastidieux et les rouages lents, aveugles et frustrants de la machine judiciaire. Mais il a surtout la manière dont le narrateur glisse lentement. Antoine Brea décrit un homme qui ne semble avoir aucune épaisseur. Employé discret, insignifiant, qui se laisse plus emporter par le courant qu’il ne le suit, affligé de phobie sociale, il s’anime peu à peu, prend une forme plus humaine au fur et à mesure qu’il s’implique dans le dossier d’Ahmet et semble accepter les sentiments qui l’animent.
Sentiments contradictoires parfois, ambigus souvent et qui, à la lumière des explications du narrateurs sur le mal dont il souffre, cette incapacité à s’insérer dans le monde tel qu’il est, s’ancrent dans une réalité si crue qu’elle finit par ne plus offrir aucune possibilité de s’y raccrocher. Ainsi erre-t-on aux côtés du narrateurs dans des limbes qui finissent par relever du rêve ou du cauchemar éveillé et toute la force de l’écriture d’Antoine Brea repose sur cette capacité à maintenir le lecteur dans cet entre-deux inconfortable tout au long d’une centaine de pages âpres et froides.
Voilà un roman d’un abord pour le moins rude, mais saisissant et marquant. Une belle profession de foi qui augure on l’espère, dans ce Cadre Noir, de futurs romans français originaux et frappants.
Antoine Brea, Récit d’un avocat, Seuil, Cadre Noir, 2017. 110 p.