Écorces, de Xavier Gloubokii
Roman court mais intense, Écorces se meut aux frontières du polar et du fantastique tout en portant une réflexion sur le changement et la manière dont la nature fait les frais de l’irrésistible expansion humaine.
Ainsi en va-t-il dans le comté dont Ahmed est le shérif. Dans ce bout d’Amérique rurale dans lequel les autorités n’ont à gérer en général que les soirées trop arrosées de quelques lycéens ou quelques conflits familiaux, un cadavre d’animal mutilé est retrouvé. Alors que la ville s’étend, que la forêt recule face aux assauts des lotisseurs et que tout tend à s’uniformiser, quel rôle peuvent avoir joué ces activistes déguisés en sapins ? Et d’où vient ce sentiment d’être constamment observé ?
Le fait divers presque banal, à tout le moins anecdotique, prend peu à peu une tournure réellement inquiétante. Et Xavier Gloubokii excelle dans la manière de créer et de maintenir cette tension, de transformer le quotidien d’Ahmed écrasé ici par la chaleur d’un été caniculaire en une parenthèse déroutante et menaçante.
Écorces se révèle ainsi un roman difficile à décrire sans risquer de déflorer son étrange ambiance. Il est de ces livres dont on se demande à leur lecture si on les aime ou pas, qui déconcertent et sont même parfois inconfortables mais dont le venin instille bien après la lecture. On en ressort un peu affligé soi-même par l’étrangeté du récit et de l’écriture de Xavier Gloubokii et c’est finalement assez plaisant. Car ils ne sont pas légions ceux qui réussissent ainsi à pousser le lecteur non pas dans ses retranchements mais dans certains d’entre eux en tout cas ; à le perturber. D’aucuns, certainement, peu sensibles à ce genre de littérature et à la recherche d’intrigues millimétrées, de caractères bien identifiés et de fin vraiment définitives pourront trouver cela vain. Les autres, dont je suis, qui aiment à être intelligemment bousculés y trouveront sans doute leur compte.
Xavier Gloubokii, Écorces, Liana Levi, 2017. 171 p.