L’Acteur qui voulait tuer Staline, de Paul Goldberg

Publié le par Yan

Américain d’adoption, Paul Goldberg a quitté l’URSS à quatorze ans riche d’histoires sur la Révolution russe, la Grande guerre patriotique ou le complot des blouses blanches récoltées auprès de son grand-père ainsi qu’il l’explique dans la postface de L’Acteur qui voulait tuer Staline. Il aura fallu quarante ans à ce journaliste d’investigation pour que ces anecdotes glanées durant son enfance prennent la forme d’un roman.

L’acteur du titre est Levinson. Membre d’une troupe de théâtre yiddish, il est par ailleurs un vétéran de la Révolution de 1917 et de la Grande guerre patriotique contre les Allemands, conflits durant lesquels il a fait montre d’un grand courage et surtout d’une capacité exceptionnelle à tuer. C’est ce dont ne vont pas vraiment avoir le temps de s’apercevoir les soldats venus l’arrêter dans son appartement communautaire un soir de février 1953. Avec trois cadavres sur les bras, le vieil acteur encore alerte regroupe autour de lui compagnons de routes et anciens camarades de lutte pour dissimuler les corps et porter la contre-attaque. Car, ainsi que ne va pas tarder à s’apercevoir cet équipage d’acteurs, vétérans, médecins ou ingénieur noir américain converti au marxisme, Staline a décidé de purger l’URSS de ses juifs et le complot des blouses blanches n’était que le point de départ et le prétexte à une extermination massive. Pour eux, une seule solution : tuer Staline.

De ce point de départ pour le moins original, Paul Goldberg tire un ouvrage qui tient à la fois de la réflexion philosophique, du roman historique, du roman noir et de la farce politique. Un éclectisme qui fait de L’Acteur qui voulait tuer Staline un roman séduisant mais aussi, parfois, tend à l’affaiblir en le rendant certainement un peu trop bavard, au risque de faire perdre le fil au lecteur. Réserve qui n’ôte cependant pas au roman de Goldberg son intérêt. D’abord parce qu’on y voit en filigrane le fonctionnement absurde d’un régime autoritaire qui dissimule bien mal ses exactions avec l’assurance que personne n’aura l’idée de relever les incohérences des alibis :

« -Zeitlin a été exécuté en 1938, dit Lewis, dont la mémoire a aussi de la place pour les statistiques de la terreur. Et sa mère ?

-Morte de façon mystérieuse en 1942. La plupart des gens qui se font sauter la cervelle ne peuvent pas s’empêcher de laisser un pistolet près d’eux…

-Pas elle ?

-Non. Et son mot d’adieu était une copie carbone. »

Ensuite, parce que la manière dont Goldberg intervient dans son récit, notamment pour éclairer des points de langue, est bien souvent amusante et renforce l’impression d’écouter un conte au coin du feu.

Conte cruel et chargé d’humour noir où les situations rocambolesques le disputent à la tragédie, L’Acteur qui voulait tuer Staline n’est certainement pas parfait, mais il est audacieux et sincère. Pour cela, il vaut que l’on s’y intéresse.

Paul Goldberg, L’Acteur qui voulait tuer Staline (The Yid, 2016), Sonatine, 2016. Traduit par Caroline Nicolas. 377 p.

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