Je l’ai appelée chien, de Marli Roode

Publié le par Yan

« Il me vient à l’esprit que mon père a passé sa vie entière, du moins toute sa carrière de photographe, à déformer la réalité au lieu de la documenter. Et que son travail s’est davantage attaché à ce qui n’apparaît pas sur les images, plutôt qu’à ce qu’on y montre. »

Nico Roussouw n’a pas grand-chose pour plaire. Cet Afrikaner raciste, misogyne et homophobe a pourtant réussit à convaincre sa fille, Jo Hartslief, avec laquelle il a coupé les ponts depuis plusieurs années, de venir à sa rencontre. Devenue journaliste après avoir dû émigrer en Angleterre à la mort de sa mère, Jo est de retour en Afrique du Sud pour couvrir les émeutes xénophobes qui ont éclatées dans les townships de Johannesburg. L’appel de son père fait remonter le passé. Nico a besoin d’aide : il est recherché pour le meurtre d’un noir commis en 1983 et se dit innocent. Il aurait été forcé d’assister à cette exécution menée par une unité spéciale de l’armée et serait maintenant poursuivi à la fois par la police et par les assassins soucieux de faire taire un témoin gênant. C’est l’occasion pour Jo d’essayer de découvrir le passé de son père et, qui sait, les raisons de son comportement vis-à-vis d’elle et de sa mère. À condition toutefois que cet homme aussi manipulateur qu’odieux dise bien la vérité et qu’il ne l’ait pas entraîné dans un voyage sans retour.

La fuite de Jo et Nico, cheminement à travers l’Afrique du Sud profonde et son histoire, est avant tout un duel psychologique intense entre le père et sa fille, l’une tentant de faire tomber le masque de son géniteur, l’autre brouillant les pistes et manipulant continuellement les sentiments de Jo et le passé. Par le biais de cet affrontement Marli Roode, bien entendu, parle aussi de son pays et de sa mémoire. De ce passé que, malgré les commissions de vérité et réconciliation, on a voulu effacer pour mieux aller de l’avant mais qui ne cesse de refaire surface. Du caractère insaisissable de la vérité, aussi.

Derrière le roman noir psychologique se dessine donc le portrait d’une Afrique du Sud qui peine à se confronter à un passé d’autant plus douloureux qu’il n’a, malgré la volonté affichée, été digéré ni par les victimes, ni par les bourreaux, et dont le présent prouve qu’il a infligé des blessures qui sont loin d’être cicatrisées. Les scènes d’émeutes dans le township d’Alexandra, pour courtes qu’elles soient, sont d’ailleurs d’une grande force et contrastent avec l’apparente lenteur du reste de l’histoire qui se révèle pourtant aussi violente dans sa description d’une société afrikaner vivant dans la nostalgie d’une époque révolue dans laquelle le rapport de force lui était plus favorable.

Portrait d’une femme ni héroïque ni résignée et d’un pays coincé entre un passé écrasant et un futur incertain, Je l’ai appelée chien est un roman sur la mémoire et l’oubli, la persistance de la douleur et la difficulté à se confronter à la vérité pour pouvoir avancer. C’est une photographie qui, comme celle de Nico Roussow, dit plus sur ce qui n’apparaît pas que sur ce qu’elle montre. Subtil.

Marli Roode, Je l’ai appelée chien (Call It Dog, 2013), Rivages/Thriller, 2016. Traduit par Fabienne Duvigneau. 383 p.

Publié dans Noir africain

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L
Il me plairait bien celui-ci ^^
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Y
C'est un très bon et beau roman.