Retenir les bêtes, de Magnus Mills

Publié le par Yan

« -Bon, dis-je. Vous voulez bien finir de trier ces machins ?

-Pas spécialement, fit Richie.

Je tentai une approche différente.

-OK. On range et après on va chez M. McCrindle.

-C’est quand la pause ?

-Vous venez de la faire.

-Quand ?

-Quand vous avez déjeuné.

-Ah bon.

-On peut s’en fumer une petite, d’abord ? dit Tam.

-Si vous voulez. »

Tam et Richie posent des clôtures pour retenir les bêtes. Moutons, bœufs, le bétail que l’on peut trouver en Écosse. Ce sont aussi deux soiffards pas forcément portés sur le respect des horaires et qui aiment bien prendre un maximum de pauses-clopes. C’est pour cela que dans la perspective d’un contrat à effectuer en Angleterre, les patrons Donald et Robert ont décidé de leur adjoindre un contremaître anglais. Un contremaître plus inquiet à la perspective de devoir partager avec eux une caravane en ruine pendant plusieurs semaines et d’être obligé de leur prêter de l’argent – ou pire, son ouvre-boîte – que soucieux de leur investissement dans le boulot ou des accidents du travail. Parce que oui, quand on passe ses journées à taper sur des poteaux avec une masse, les accidents arrivent, et ce ne sont généralement ni Tam ni Richie qui en font les frais.

Retenir les bêtes, on l’aura compris, c’est autant retenir du bétail que Tam et Richie, et ce n’est pas une mince affaire. Surtout à partir du moment où, lors de leurs expéditions nocturnes dans le pub du patelin anglais dans lequel on les a envoyés, ils se mettent à croiser les frères Hall, famille de bouchers qui a aussi décidé de se lancer dans le business de la clôture.

Épopée quasi immobile et très humide et boueuse au sud du mur d’Hadrien, Retenir les bêtes est aussi à sa manière un roman noir. Parsemé de cadavres et de monceaux de saucisses, de dialogues effarant de désintérêt ou de silences lourds de sens qui  en font un sommet d’humour britannique, ce roman de Magnus Mills est aussi déroutant qu’amusant. Pour autant, l’auteur, malgré les circonvolutions des pensées de son narrateur, le fameux contremaître anglais, et la routine qu’il installe, ne perd pas de vue qu’au fond, malgré tout, derrière les bières éclusées, les clopes humides et les âpres négociations sur les avances sur salaire et le prêt de l’ouvre-boîte et sous les clôtures aux fils ultra tendus et aux poteaux bien enfoncés se trouvent quelques cadavres.

Jusqu’à un final qui permet de clore le tout sur une note lugubre.   

Magnus Mills, Retenir les bêtes (The Restraint of Beasts, 1998), 10/18, 2000. Rééd. Cambourakis, 2014. Traduit par Valérie Malfoy. 237 p.

Publié dans Noir britannique

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J
Houla, j'ai lu ça il y a une éternité !<br /> Et je me souviens effectivement d'un final assez sinistre, et de m'être régalé.
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Y
Oui, c'est tout ça à la fois.
J
Salut Yan,<br /> Ta chronique avec je ne sais quoi de flegme britannique me plaît. Ce titre étrange, je le note dans mon carnet à spirales. Vais aimer. Amitiés.
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Y
Salut Jean.<br /> Ça vaut en effet le détour!