Petit traité de la fauche, de Jim Nisbet
Klinger a débarqué sans le sou à San Francisco quelque part dans les années 1970. Il n’a pas fait fortune depuis et vivote entre les moments où son ex-petite amie lui file un peu d’argent et ceux où quelques petits braquages foireux ou vols de portefeuilles lui permettent de se payer une chambre d’hôtel miteuse et du whisky. C’est justement après une fuite ratée qu’on rencontre Klinger en train de quitter aussi discrètement que possible le terre-plein sur lequel son complice et lui se sont échoués en voiture. Avec quelques dollars en poche, il finit par se poser à l’Écubier, rade minable où il a ses habitudes lorsqu’il est en fonds. C’est là qu’il croise son vieux pote Frankie Zigue, pickpocket de talent qui, après quelques verres lui propose de reprendre du service. C’est comme cela que les deux hommes croisent un brillant informaticien complètement ivre. Le genre d’opportunité à côté de laquelle deux vieux briscards comme Klinger et Frankie ne peuvent passer. Les poches sont vite faites et l’on se partage le butin. Sauf que le pigeon est peut-être bourré mais aussi hargneux et qu’il revient en colère. Et une fois de plus Klinger fuit. En laissant derrière lui deux types sur le carreau et avec dans la poche un smartphone qui va lui permettre de découvrir à quel point les nouvelles technologies ont changé le monde dans lequel il vit.
Il n’y a rien de bien original dans le point de départ de ce roman de Jim Nisbet. Mais il y a avec Klinger un personnage particulièrement riche. Paumé, roublard mais indéniablement attachant, et ce d’autant plus à partir du moment où il se trouve propulsé par le biais de ce téléphone portable dans un monde qui lui est totalement étranger et dans lequel ses valeurs et ses habitudes apparaissent complètement dépassées, Klinger suscite l’empathie. Confronté à une femme manipulatrice qui sait jouer des plaisirs simples – boire, manger, dormir – auxquels il aspire, Klinger se retrouve bien vite embringué dans une affaire qui le dépasse. Et si l’on sent bien que tout cela va mener quelque part, on prend surtout plaisir à faire le voyage aux côtés de Klinger dans ce San Francisco froid et pluvieux, à observer ses combines, à écouter ses remarques acerbes ou ironiques et à voir le monde dans lequel il évolue. C’est bien là que Nisbet est fort, dans cette manière distanciée, subtile, humoristique et en même temps tendre d’entraîner le lecteur en virée avec un poivrot bien plus innocent qu’il ne paraît et qu’il va confronter à des personnages qui le sont bien moins qu’ils ne devraient l’être.
On sourit donc beaucoup, on se délecte des dialogues et, pour finir, on se trouve surpris par un dénouement logique, certes, mais que pris par la plume de Nisbet, fasciné par le petit monde de Klinger, on n’a pas vu ou pas voulu voir venir.
Jim Nisbet, Petit traité de la fauche (Snitch World, 2013), Rivages/Noir, 2016. Traduit par Catherine Richard-Mas. 238 p.