Ce monde disparu, de Dennis Lehane
Troisième volet de la série de romans centrée autour de la famille Coughlin et plus précisément depuis le volume précédent du personnage de Joe Coughlin, après Un pays à l’aube et Ils vivent la nuit, Ce monde disparu a des airs de crépuscule des gangsters.
Nous sommes en 1943, près de quinze ans après les événements relatés dans Ils vivent la nuit, et Coughlin est devenu un notable de la ville de Tampa. Père aimant de Tomas, qu’il élève seul depuis la mort de sa femme, homme d’affaires courtisé et respecté, Joe n’en a pas moins gardé, même après avoir laissé les rênes à son ami Dion Bartolo, une certaine influence dans la pègre locale à laquelle il dispense ses conseils aussi bien financiers que pour la gestion des « affaires courantes ». Mais il apprend qu’un contrat a été lancé sur sa tête et doit être exécuté le mercredi des Cendres. Ne sachant pas qui en est le commanditaire ni pourquoi il en est la cible, Joe doit se méfier de tout le monde et, surtout, maintenant qu’il est blanchi sous le harnais, plus sage, envisager la possibilité de mourir en laissant derrière lui un orphelin.
Abordé avec un peu de réticence après le très lisse Ils vivent la nuit, Ce monde disparu se révèle une bonne surprise. Hanté – littéralement – par l’idée de la mort, sans illusion sur l’homme qu’il est, sur le mal qu’il a dispensé et dont il sent bien qu’il devra un jour en payer la note, Joe Coughlin gagne en profondeur et Dennis Lehane, peut-être, en maturité, posant à la fois la question de l’héritage et de la construction romantique du mythe des hommes d’honneur de la Mafia américaine. Là où, précédemment, il s’était contenté d’enfiler les poncifs du genre, le romancier pointe là les aspérités. Les hommes qui s’agitent autour de Coughlin n’ont à la bouche que sens de l’honneur et de la parole donnée, mais n’agissent que selon leurs instincts et dévoilent les pathologies dont ils sont affligés. Sociopathes voire psychopathes, mythomanes et égocentriques et, surtout schizophrènes tentant pour la plupart de passer pour des hommes ou des femmes normaux, ils brillent d’une certaine manière, séduisent, mais finissent immanquablement par révéler leurs vrais visages, bien moins attachants.
Récit tragique mais aussi pur roman de gangsters avec ce qu’il faut de suspense, de retournements et de scènes saisissantes, Ce monde disparu, sans avoir le souffle d’Un pays à l’aube, marque un beau retour de Lehane aux affaires. On y retrouve la maîtrise de la construction que possède – parfois un peu trop – Dennis Lehane mais aussi un propos qui, sans être foncièrement original, a pour lui de poser à ses personnages de véritables dilemmes ; de ces questionnements intimes qui leur donne une réelle épaisseur et les rend pour le lecteur aussi séduisants que repoussants.
Dennis Lehane, Ce monde disparu (World Gone By, 2015), Rivages/Thriller, 2015. Traduit par Isabelle Maillet. 348 p.
Du même auteur sur ce blog : Ils vivent la nuit ;