La quête de Wynne, d’Aaron Gwynn
Lorsque, sur un coup de tête, Elijah Russell, en pleine bataille avec des insurgés irakiens, risque sa vie pour sauver un cheval, il donne à sa vie une nouvelle trajectoire. Relayée d’abord sur internet puis dans les médias, la vidéo de son exploit tournée par des journalistes présents sur le théâtre des opérations fait de lui une célébrité et, surtout, le fait remarquer par le capitaine Wynne. Dirigeant d’une unité de commandos en Afghanistan, Wynne est aussi taiseux que légendaire et il a décidé que pour mener des actions efficaces et discrètes contre les talibans il doit faire de ses hommes des cavaliers. Dresseur émérite ayant grandi dans un ranch et, de toute évidence téméraire aux yeux de ceux qui ont vu la fameuse vidéo, Russell est donc envoyé au près des zones tribales afghano-pakistanaise pour débourrer les chevaux que Wynne s’est procuré.
Le titre comme le résumé du livre d’Aaron Gwynn pourraient envoyer le lecteur sur de fausses pistes. Certes, il y est question de guerre – et en particulier du bourbier dans lequel se sont enfoncés les États-Unis – et d’un Wynne qui mène la sienne propre, mais La quête de Wynne, par bien des aspects, tient plus du roman d’aventures ou du western – du « eastern » en l’occurrence – et c’est surtout, finalement, la quête de Russell qui en est le centre. Un Russell à la recherche de lui-même, archétype de ces jeunes américains de la classe moyenne inférieure désargentés et sans véritables perspectives d’avenir jetés dans des conflits qui les dépassent.
Le talent de Gwynn tient ici dans sa capacité à s’intéresser aux hommes dans leur complexité et leurs contradictions – en premier lieu Russell, son ami Wheels et Wynne, mais aussi des personnages secondaires particulièrement intéressants, à commencer par l’infirmier Bixby, l’éclaireur afghan Ziza ou Sara, seule femme à apparaître ici – sans sacrifier le rythme de l’aventure ; y compris dans les quelques longues scènes de dressage qui auraient pu se révéler fastidieuses mais qui apparaissent ici à la fois comme de véritables moments épiques et des révélateurs de ce que sont les hommes.
Bien entendu, l’ambigüité de l’étrange Wynne – qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le personnage de Barnes dans le film Platoon – est aussi pour beaucoup dans la réussite d’un roman qui donne à voir la guerre dans ce qu’elle a de plus effrayant et abject là où, en contrepoint, Russell, pendant un moment au moins, peut encore parfois croire vivre une véritable aventure et se battre pour les mêmes idéaux que son grand-père débarqué en France en juin 1944.
Soufflant le chaud et le froid sur ses personnages, donnant à son roman une véritable dimension épique, Aaron Gwynn nous offre ici un livre extrêmement fort traversé par des moments d’une rare violence et d’autres d’une beauté à couper le souffle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les éditions Gallmeister réussissent parfaitement leur rentrée noire.
Aaron Gwynn, La quête de Wynne (Wynne’s War, 2014), Gallmeister, 2015. Traduit par François Happe. 307 p.