De certaines façons de mourir… – I.Les années flétries, de Rafael Menjívar Ochoa
Acteur de feuilletons radiophoniques dans lesquels il s’est fait une spécialité des rôles de méchant, le narrateur de ce roman mexicain du salvadorien Rafael Menjívar Ochoa est confronté à la concurrence des radionovelas vénézuéliennes qui, pour être de bien piètre qualité n’en sont pas moins bien moins coûteuses que les productions locales. Alors quand de mystérieux hommes issus d’une des multiples branches secrètes de la police mexicaine lui proposent un travail grassement payé, le voilà tenté de donner une nouvelle trajectoire à sa carrière. Il lui faut pour cela prêter sa voix pour reconstituer, le temps d’une conférence de presse, celle d’un prisonnier politique mort sous la torture.
Premier volume d’un cycle de cinq romans (les trois premiers ont jusqu’ici été traduits), Les années flétries nous fait découvrir une plume déconcertante. Récit à la première personne d’un narrateur comédien à la sensibilité exacerbée, ce roman allie la précision de l’observation à l’interprétation toute subjective. Dès les premières pages, la description de la belle et énorme Guadalupe Frejas illustre cette situation paradoxale : on voit clairement le personnage tout en sachant que le regard du narrateur est biaisé par ses sentiments. Entre exagérations, paranoïa et faux-semblants, Rafael Menjívar Ochoa embarque donc son lecteur dans un récit noir, violent, volontiers amusant aussi, dans lequel nul ne semble être ce qu’il est vraiment… y compris donc ce narrateur qui voit le monde d’une façon si particulière et dont on peut légitimement douter non seulement de ce qu’il nous dit mais aussi de ce qu’il se dit à lui-même.
Étonnant, réflexion dérangeante sur la vérité et ses apparences ponctuée de scènes saisissante de violence et/ou de beauté, Les années flétries ouvre avec brio un cycle dont on espère que les volumes suivants seront au moins à sa hauteur.
Rafael Menjívar Ochoa, De certaines façons de mourir… I.Les années flétries (Los Años marchitos), Éditions Cénomane, 2013. Traduit par Thierry Davo. 111 p.
Merci à Jérôme Dejean pour la découverte.