Les papiers de Tony Veitch, de William McIlvanney
Encensé par ses pairs et par de nombreux lecteurs William McIlvanney fait partie de ces écrivains dont certains ouvrages hantent ma bibliothèque depuis longtemps avec la mention « à lire d’urgence » et que je finis par oublier. La réédition par les éditions Rivages de la trilogie consacrée à l’inspecteur Jack Laidlaw est donc l’occasion de découvrir en ce qui me concerne ou de redécouvrir, pour d’autres, un des auteurs majeurs du polar britannique.
Petit malin que je suis, j’ai commencé par le premier édité, Les papiers de Tony Veitch, avant de m’apercevoir qu’il s’agissait en fait du deuxième roman de la trilogie. Ce n’est pas grave.
Nous sommes à Glasgow au début des années 1980 et Heck Adamson, clochard de son état, est en train de crever aux urgences. Ses dernières paroles sont pour faire venir à son chevet l’inspecteur Jack Laidlaw. De cette ultime entrevue, Laidlaw ressort avec la conviction qu’Adamson a été empoisonné et que cela à un rapport avec un règlement de comptes entre truands. Et puis, au milieu de tout cela, émerge un drôle d’individu : Tony Veitch, étudiant en rupture de ban, fils de bonne famille et écrivain compulsif qui semble s’être volatilisé. Malgré les réticences de sa hiérarchie et de ses collègues, Laidlaw, dont l’opiniâtreté confine à l’entêtement, se lance à la recherche de Veitch dans l’espoir de faire la lumière sur la mort de Heck Adamson.
Il y a tout chez McIlvanney.
Une écriture efficace sans être minimaliste avec en particulier des ouvertures de chapitres ciselées (« Au Gai Luron, le pub préféré de John Rhodes, dans le district de Calton, là où commence - certains disent finit - l'East End de Glasgow, il y avait comme qui dirait foule. Il y avait Macey et puis Dave McMaster et Hook Hawkins. Les autres, c'était juste John Rhodes. »).
Un héros atypique, par bien des côtés asocial mais guidé par une profonde volonté de mettre à jour la vérité, aussi laide et dérangeante – y compris pour lui – puisse-t-elle être comme le rappelle sur le mode de l’ironie l’un de ses collègues et rares amis : « Quand on l’enterrera, il faudra qu’il regarde comment ça se passe. Il aura des trous dans son cercueil pour regarder. Probablement qu’il soulèvera le couvercle, s’assoira et dira : "Attendez une minute. Votre chagrin me paraît suspect. Tirez-vous. Vous autres, on essaie encore une fois, d’accord ?" Au bout d’une douzaine de fois, il ne se relèvera plus et ils pourront rentrer chez eux. » Dans sa constante quête de vérité, Laidlaw apparaît comme un idéaliste, profondément empathique à l’égard des victimes et portant haut son mépris plus pour ceux qui ne font rien pour l’aider à découvrir cette vérité que pour les coupables eux-mêmes. Au risque de s’y perdre.
Et puis il y a aussi Glasgow, l’autre personnage de McIlvanney, cette ville apparemment coupée en deux entre les nantis et les autres mais dont la taille, finalement petite, et le déclin font que les connections se font entre les différents mondes qui s’y croisent. Il en ressort un portrait fascinant de la pègre locale et des relations sociales dans toute leur complexité.
Autant dire que l’on se trouve là face à un grand auteur et à un formidable roman.
William McIlvanney, Les papiers de Tony Veitch (The Papers of Tony Veitch, 1983), Rivages/Noir, 1987. Rééd. 2015. Traduit par Jan Dusay. 351 p.