Les copains d’Eddie Coyle, de George V. Higgins
Roman qui s’est forgé une solide réputation de livre aux dialogues ciselés et criants de vérité au point de susciter l’admiration d’Elmore Leonard comme le rappelle Laurent Chalumeau dans son essai sur l’écrivain de Detroit, Les copains d’Eddie Coyle est une banale histoire de voyous.
Eddie Coyle a fait deux ou trois bêtises. La dernière en date, lui vaut d’attendre un procès qui risque de l’envoyer en taule pour quelques mois ou années. La précédente lui a valu le surnom d’Eddie-les-Doigts, eu égard aux doigts de sa main qui ont fini coincés dans un tiroir après qu’il a fourgué à un braqueur une arme encore traçable. Eddie vivote en continuant à se procurer des flingues pour la pègre locale du New Hampshire et en particulier une bande lancée dans des braquages de banques. Mais Eddie n’a pas envie d’aller prison et envisage de donner quelques informations sur son fourgue à la police.
Dans un monde où tout le monde se méfie de tout le monde (« Il enculerait un chien atteint de scarlatine pour se faire libérer sur parole. »), George V. Higgins joue à montrer comment chacun essaie de jouer le jeu qui l’arrange avec ce que cela comporte de compromissions, de reniements, de renoncements et de trahisons. Flics, truands, militants politiques entendent tous jouer leur propre partition.
Mais si l’histoire est banale, la prouesse d’Higgins et de lui donner une dimension bien plus dramatique en multipliant les points de vue et, surtout, en n’offrant de ces points de vue qu’un minimum de narration à la troisième personne et de description au profit de longs dialogues extrêmement ciselés et réalistes. C’est ce talent de dialoguiste hors pair qui lui permet de projeter son lecteur au cœur de l’histoire. Cette sensation d’être présent, d’écouter discrètement ce qui se dit, alliée à la possibilité de remettre petit à petit les pièces du puzzle en place, fait des Copains d’Eddie Coyle un roman particulièrement réussi qui dépasse finalement la simple lecture pour devenir une véritable expérience dans laquelle on joue à renouer les fils à tenter de déceler le mensonge ou la duplicité de tel ou tel personnage.
C’est mené de main de maître et, une fois n’est pas coutume, on ne peut que s’accorder avec ceux qui qualifie ce livre de roman culte tant la maîtrise dont fait preuve Higgins pour ne pas perdre son lecteur sans pour autant le guider de manière impérieuse est impressionnante. Autant dire qu’il s’agit là d’une lecture hautement recommandée.
George V. Higgins, Les copains d’Eddie Coyle (The Friends of Eddie Coyle, 1970-1971), Hachette, 1973. Rééd. Rivages/Noir, 1991. Traduit par Roland Mehl. 191 p.