Gran Madam’s, d’Anne Bourrel

Publié le par Yan

Toujours surprenante, la Manufacture de Livres nous offre avec Gran Madam’s un nouvel objet de curiosité littéraire. Sur une trame de roman noir, Anne Bourrel livre un roman qui parle surtout d’amour, de rédemption, de la recherche désespérée d’un semblant de pureté.

Souillée chaque jour par les clients qui se succèdent, Bégonia Mars, prostituée officiant dans un de ces bordels géants de la Jonquera, à la frontière hispano-française, le Gran Madam’s, se lance avec son mac, Ludovic, et l’homme de main de ce dernier, le Chinois, dans une expédition punitive. Si l’on ne sait pas vraiment ce qu’a pu faire le Catalan pour provoquer l’ire du trio, sa fin rapide sous forme de sacrifice maya au sommet de la pyramide de Ricardo Bofill au poste frontière du Perthus annonce une drôle d’échappée. Le crime commis, Bégonia, Ludo et le Chinois rencontrent une jeune fugueuse qu’ils prennent sous leur aile et ramènent chez elle, dans une petite ville des Corbières. Là, accueillis par la famille de la petite, ils vivent, au milieu d’un été caniculaire, une parenthèse presque enchantée qui prend rapidement l’allure d’une sorte d’impasse propre à les faire basculer dans l’horreur.

Si donc, bien vite, la cavale initiale stoppe à Capendu, dans la station-service des parents de la petite Marielle, elle ne cesse jamais vraiment. Et c’est cette échappée arrêtée qui est au cœur du roman d’Anne Bourrel. Ici s’ouvre face à Bégonia la possibilité de rêver à autre chose qu’aux projets d’escort de luxe à Paris que Ludovic a pour elle. Et, d’ailleurs, même ce dernier semble voir dans cette famille pourtant mal en point un point d’accroche potentiel et, pourquoi pas, l’occasion de changer de cap. Mais Anne Bourrel n’est pas là pour conter une histoire à l’eau de rose. Et dans la touffeur de cet été torride en bord de nationale, elle instille peu à peu la suspicion. En quelques images, quelques paroles, elle laisse planer les présages d’un basculement. Si ce suspense bien maîtrisé accroche le lecteur, il y a aussi bien entendu les personnages auxquels ils peut s’attacher avec l’auteur et en particulier ces femmes, Marielle, Bégonia, Sylvie… plus fortes qu’elles paraissent mais aussi victimes perpétuelles d’un monde qui n’est pas forcément prêt à accepter de les voir lever le menton.

Si le sens de l’ellipse d’Anne Bourrel peut parfois déstabiliser le lecteur et même, à certains moments, rendre les situations où les personnages secondaires un peu caricaturaux, il n’en demeure pas moins que celui-ci lui permet d’offrir au lecteur une véritable liberté d’interprétation de ce qu’il lit. C’est là quelque chose d’assez rare pour être signalé et c’est ce qui fait de Gran Madam’s un roman noir d’une belle complexité.  

Anne Bourrel, Gran Madam’s, La Manufacture de Livres, 2015. 188 p.

Du même auteur sur ce blog : L'invention de la neige ;

Publié dans Noir français

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S
Le roman dans l'ensemble a les atouts que vous avez bien mis en évidence. Toutefois, le style m'a laissé perplexe. L'écriture est très directe pour servir des personnages à leur état brut, mais nuit à une lecture fluide et subtile. Une caractéristique qui n'engage que moi. Cet arbitrage ne eut être que voulu par l'auteur. Merci pour vos critiques qui éclairent souvent mes choix et particulièrement justes, concises et reflétant une passion constante.
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Y
Merci pour votre commentaire. Je comprends que le style puisse être déconcertant, mais oui, c'est d'évidence le choix de l'auteur qui n'a pas forcément envie de mettre le lecteur à l'aise.
B
Je vais le commencer ce weekend!
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Y
Bonne lecture!
S
Ça sonne comme de la White Trash à l'américaine...
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Y
Oui, maintenant que tu le dis, il y a un peu de ça.