GB 84, de David Peace
Une grève de près d’un an, un monde ouvrier en passe de disparaître, un monde syndical profondément divisé, un gouvernement prêt à transformer une démocratie en un État policier, des barbouzes s’agitant en sous-main, une presse aux ordres… une guerre civile en fin de compte. C’est ce que raconte David Peace en s’attaquant dans GB 84 à la grève des mineurs de 1984-1985, réaction à l’annonce d’un plan drastique de restructuration – ce doux euphémisme qui signifie surtout fermetures et diminution des charges de personnel – des houillères de Grande-Bretagne.
Peace choisit pour cela de multiplier les angles de vue. Les récits à la première personne de deux mineurs, Martin et Pete qui alternent d’une partie sur l’autre, viennent couper et sont coupés par ceux de Terry Winters, directeur exécutif du Syndicat National des Mineurs, un des bras droits du président Arthur Scargill, de Neil Fontaine, chauffeur et homme de main au service de Stephen Sweet, le Juif, lancé pour Margaret Thatcher dans une croisade contre le syndicat, mais aussi de Malcolm et du Mécanicien, barbouzes agissant pour le compte de divers intérêts, y compris les leurs, alternant crimes crapuleux et actions violentes contre les grévistes.
Il en ressort un récit éclaté, haché et baroque dans lequel la fiction, aussi crue et violente soit-elle, se mêle étroitement à une impressionnante documentation qui rend compte de faits réels bien plus glaçants et poignants. Ainsi les récits au jour le jour de la grève que font Martin et Pete, des premiers piquets au délitement du mouvement en passant par les affrontements avec des forces de police militarisées et bénéficiant d’une impunité totale avec morts et blessés à la clé, sont certainement les moments les plus fort de ce roman dantesque : ils racontent sans fard la colère et le désespoir, le sacrifice de cette piétaille au service d’un syndicat dont la direction est en proie à la division, la méfiance qui s’instaure peu à peu vis-à-vis des amis ou voisins prêts à retourner leur veste et à devenir des jaunes pour pouvoir simplement nourrir leurs gosses, la récolte clandestine de charbon sur les crassiers pour gagner quelques sous et bien sûr la haine que la police, forte de son bon droit et de la carte blanche dont elle bénéficie, peut exprimer en exerçant une violence débridée contre les mineurs.
Ainsi derrière le roman noir, Peace dépeint magistralement le délitement de l’État Providence et des solidarités de classe pour faire place à l’individualisme et au libéralisme le plus débridé. Impressionnant coup de maître, GB 84 ne laisse finalement qu’une seule frustration au lecteur francophone et surtout pas assez anglophone pour pouvoir lire le texte en version originale : celle de ne pouvoir profiter de la scansion hypnotique originelle du texte que le traducteur, malgré un travail de grande qualité ne peut que laisser deviner dans le texte français. Autant dire qu’il s’agit là d’un roman noir parmi les meilleurs des années 2000, audacieux sur la forme et solide sur le fond. Un incontournable.
David Peace, GB 84 (GB 84, 2004), Rivages/Thriller, 2006. Rééd. Rivages/Noir, 2009. Traduit par Daniel Lemoine. 682 p.