Vongozero, de Yana Vagner
La trame peut sembler éculée, et sans doute d’ailleurs l’est-elle bien. Une épidémie, l’état d’urgence, et quelques survivants qui décident de fuir devant l’avancée et de la maladie et des groupes de pillards et assassins que la chute de l’État a jetés sur les routes. De la campagne moscovite au lac Vongozero, à la frontière avec la Finlande, se sont des centaines de kilomètres qu’Anna va devoir parcourir avec sa famille : son fils, son beau-père, son mari… mais aussi l’ex-femme et le fils de l’époux et même les voisins qu’elle méprise pourtant.
À partir de ce postulat mille fois lu, mille fois vu, Yana Vagner se lance dans un roman qui sort pourtant du lot. Cela tient sans doute à ce qu’elle évacue relativement vite les généralement inévitables considérations sur le rôle des autorités ainsi que les habituelles scènes de violence incontrôlée. Cela pour mieux se replier sur le groupe et, plus encore sur la narratrice, Anna, dont les atermoiements, le caractère effacé, laissent peu à peu place à une expression plus abrupte des sentiments sous la pression du groupe et de ces éléments extérieurs souvent invisibles mais dont on craint qu’ils ne fassent leur apparition au pire moment.
Ainsi s’installe la tension. Si les traversées de zones habitées ou les recherches désespérantes et désespérées de carburant en sont la source, c’est bien le fonctionnement du groupe lui-même qui la fait monter. Les antagonismes acceptables et étouffés dans la vie d’avant l’épidémie enflent ici librement et ce que nous donne à voir Yana Vagner, c’est la lutte de ses personnages et en particulier d’Anna, pour continuer à contrôler leurs sentiments afin de ne pas basculer dans un individualisme forcené qui entrainera nécessairement la bestialité et, en fin de compte, l’impossibilité de s’en tirer. L’on voit ainsi évoluer un groupe qui se supporte de moins en moins mais dans lequel les individus qui le composent n’ont d’autre choix que de rester grouper pour espérer peut-être survivre.
C’est de cet équilibre précaire des relations que provient avant tout l’atmosphère pesante de Vongozero. Une tension que vient renforcer la peinture extrêmement bien exécutée de l’environnement. Le gris omniprésent qui fait que le jour se fond dans la nuit, le froid, les villages dont on espère qu’ils soient abandonnés, les rares rencontres qui sont autant de coups de dés puisque l’on peut aussi bien croiser un sauveur providentiel qu’un tueur.
Au fur et à mesure qu’Anna et ses compagnons de routes avancent vers le nord, le vernis de sociabilité que l’ancien monde avait su créer s’effrite et cet échantillon d’humanité recule chaque jour de plusieurs siècles pour revenir à cet époque où l’autre était avant tout un concurrent à la survie, où l’inconnu représentait plus un danger potentiel qu’une hypothétique chance de vivre plus longtemps faute de vivre mieux.
C’est du savant dosage de ces éléments que provient la réussite de ce roman dont on ne peut, une fois encore, que féliciter les jeunes éditions Mirobole d’être allées le dénicher.
Yana Vagner, Vongozero (Vongozero, 2011), Mirobole Éditions, 2014. Traduit par Raphaëlle Pache.