Made in Canada, de Matthew Firth
Chômeurs, éboueurs, étudiants, vigiles, écoliers, exhibitionnistes, voyeurs… les personnages des nouvelles de Matthew Firth réunies dans Made in Canada et extraites de quatre recueils publiés au Canada ont en commun d’être des représentants des classes ouvrière et moyenne canadienne. Loin de l’image d’Épinal que l’on peut s’en faire vu d’Europe – un pays peuplé de caribous, de bucherons et de castors vivant en parfaite harmonie tandis que, plus au sud, les voisins étasuniens s’entretuent méthodiquement – Firth décrit crûment une réalité finalement commune à toutes nos sociétés occidentales. Petit employé, femme au foyer, ouvrier, ou délinquant à la petite semaine, tous ses personnages partagent la frustration inhérente à une société qui promet tout mais offre bien peu à ceux qui ne peuvent ou ne savent pas se couler dans le moule.
Aux plus combatifs – et plus rares – d’entre eux ne restent plus que la colère. Aux autres la quête de quelques miettes du gâteau et, donc, cette immense frustration qui ronge et s’insinue partout. Attirés et fascinés par l’échec, perturbés dans leur sexualité qui se révèle bien souvent être encore, malgré ou à cause de l’obsession qu’elle représente pour eux, source d’un inassouvissement frustrant (la nouvelle « Pornographie suburbaine » qui voit un homme filmer à leur insu ses voisins lors de leurs rapports sexuels imitant les codes des films pornographiques résume bien tout cela), les personnages de Firth semblent littéralement englués dans la société dans laquelle ils vivent, dont ils ont intégré les codes sans pour autant pouvoir les utiliser faute d’en avoir les moyens. Et, en fin de compte, la seule règle qu’ils semblent réussir à appliquer est celle de l’individualisme forcené, celui qui finit par les isoler encore plus et exacerber ressentiment et sentiment d’échec.
Sans ambages, d’une manière souvent déroutante, Matthew Firth observe et décrit avec un œil aiguisé, sans pitié mais aussi sans juger, ces tranches de vies sordides dans des nouvelles qui, si elles ne sont pas noires, ont le teint blafard des lendemains de gueule de bois.
Matthew Firth, Made in Canada, 13E Note, 2013. Traduit par Luc Baranger.