Le Los Angeles de John Shannon : les aventures de Jack Liffey
J'ai découvert John Shannon il ya quelques temps avec Le rideau orange, édité chez Rivages. J'avais bien aimé le héros, Jack Liffey, un chômeur d'une cinquantaine d'années reconverti dans la recherche d'enfants disparus. J’ai ensuite découvert deux autres aventures de Liffey éditées chez l'Atalante, La rivière en béton et Faille fatale.
Poursuivi par la poisse, Liffey a tout d'un anti-héros. Il a fait le Viêtnam, comme tout détective de son âge qui se respecte, mais avoue sans détour qu'il était un planqué et n'a jamais combattu, il n'aime pas les flics (qui en général le lui rendent bien), est incapable d'avoir une relation suivie avec sa fille qui vit avec son ex-femme car cette dernière refuse de la lui confier tant qu'il boira et ne paiera pas sa pension alimentaire...
Suivre Jack Liffey dans ses enquêtes est un réel plaisir. Pour son humour d'abord. Surtout lorsqu'il se retrouve face aux flics. Lorsque l'un deux, inspectant son bureau suite à un cambriolage, trouve un flingue qui ne fonctionne pas ("Je pensais avoir fait une bonne affaire, jusqu'à ce que je me rende compte qu'aucune pièce n'était standard hormis le chargeur" explique Liffey) et l'interroge sur son boulot, on trouve ainsi ce plaisant dialogue :
-Vous êtes sur des affaires intéressantes en ce moment? (...)
-Je ne suis pas détective. Je ne fais que retrouver les enfants disparus.
-Et vous en descendez beaucoup?
-Uniquement quand ils se mettent à brailler.
(...)
Quinn reposa le pistolet un peu lourdement sur le bureau dont il dut érafler le bois.
-Oh, pardon!
-Vous voulez peut-être effacer vos empreintes?" demanda Liffey. On ne pouvait pas subir indéfiniment et finir seul comme un chien. "Qui sait où on risque de les retrouver?
-Vous cherchez les emmerdes?
Jack Liffey vit rouge. "J'ai cinquante-deux ans, salopard, articula-t-il lentement, sans hausser le ton, et les emmerdes, tu ne peux pas imaginer comme ça me connaît".
Mais au-delà du personnage attachant de Liffey, ce que l'on découvre dans les romans de Shannon, c'est Los Angeles. La mégapole californienne est le véritable personnage principal de chacun de ses livres, comme la Louisiane chez James Lee Burke ou la Floride chez Tim Dorsey et Carl Hiaasen. Le projet d’ailleurs avoué de John Shannon est d’aborder un nouveau quartier dans chacune des aventures de Liffey.
La rivière en béton se passe dans le Barrio d'East L.A., Faille fatale du côté d’Hollywood, Le rideau orange dans le comté d'Orange et sa communauté asiatique. Liffey y pose un regard désabusé mais encore aimant. Chaque livre est ainsi émaillé de visions tragi-comiques sur le quotidien des Angelinos. Poésie urbaine et humour noir sont au rendez-vous.
D'autres romans de la série existent en V.O. (10 en plus de ces trois là, si j’ai bien compté), pas encore traduits en France. Croisons les doigts et espérons que ce jour viendra.
Les aventures de Jack Liffey traduites en français :
John Shannon, La rivière en béton, L’Atalante, 2001. Traduit par Jean-François Le Ruyet.
John Shannon, Faille fatale, L’Atalante, 2002. Traduit par Jean-François Le Ruyet.
John Shannon, Le rideau orange, Rivages/Thriller, 2003. Rééd. Rivages/Noir, 2006. Traduit par Jean-François Le Ruyet.