Willnot, de James Sallis

Publié le par Yan

Willnot, petite ville américaine, a des airs de havre de paix pour ses habitants qui, sans être complètement versés dans la contre-culture ni le libertarianisme, cultivent un mode de vie simple et des relations qui le sont tout autant. On s’entraide, on évite de juger ses voisins et parfois, comme Lamar, le narrateur, et son compagnon Richard, on coupe télévision, radio et internet pour ne pas se sentir agressé par l’état du monde. La découverte d’un charnier à l’écart de la ville, le retour de Brandon Lowndes, qui a grandi là avant de partir faire la guerre en Irak, l’arrivée d’une agent du FBI, viennent sensiblement perturber le quotidien de cette ville idéale et en particulier celle de Lamar.

Faux roman noir, mais véritable œuvre qui s’emploie à saisir en creux l’esprit du temps à travers la description d’une communauté qui s’en tient éloignée autant que possible, Willnot est un récit totalement dépouillé dans lequel James Sallis ne cherche à donner aucune réponse aux débuts d’intrigues qu’il a semés.

Par contre, à travers les yeux de Lamar, médecin et, à ce titre, connaisseur de tous les habitants et d’une grande part de leur intimité, il dévoile toute une galerie de vies certainement sans importance pour d’autres que ceux qui les vivent et leurs proches. Mais, il le montre aussi, ce sont ces vies insignifiantes qui forment une société et en tissent l’âme. Lamar, lui, comme il le dit « rafistole les gens » et fait ce qu’il peut « pour les remettre en état de marche ». Sans doute essaie-t-il en même temps, maladroitement, de se réparer lui-même en réparant les autres.

Rempli de non-dits, d’impressions fugaces, de portraits dont la concision n’interdit pas la profondeur, Willnot est écrit avec la même apparente économie de moyens. James Sallis évite autant les intrigues alambiquées qu’une écriture trop clinquante. Et derrière cette simplicité de façade, il y a des mots littéralement mis en musique – on saluera au passage Hubert Tézenas à la traduction –, une orchestration ou une chorégraphie des destins qui se croisent à Willnot et en révèlent la vie telle qu’elle est : complexe sous son évidente simplicité – on naît, on meurt et, entre temps on essaie de se débrouiller avec ça, avec la perte de ceux qu’on aime, avec ce que l’on voudrait accomplir pour se réaliser soi-même. Difficile d’ailleurs de ne pas voir derrière Lamar et son père, qui hante ses souvenirs, des parcelles de James Sallis lui-même et du regard qu’il porte sans doute aussi sur sa vie.

Récit intime mais sans pathos, polar dont la résolution des intrigues importe moins que celles et ceux qu’elle permet de découvrir, portrait d’une Amérique idéale sous la menace d’une intrusion de la triste réalité mais qui se défend plutôt bien, Willnot est un roman doux-amer, émouvant et néanmoins optimiste.

James Sallis, Willnot (Willnot, 2016), Rivages/Noir, 2019. Traduit par Hubert Tézenas. 220 p.

Du même auteur sur ce blog : Drive ;

 

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M
Je vais me dépêcher de le lire. La chronique m'a convaincue. Merci.
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