Judas, d’Astrid Holleeder
Un jour de 1983, Alfred Heineken, patron de la célèbre brasserie hollandaise, et son chauffeur Ab Doderer sont enlevés. Après trois semaines d’une rude détention, ils sont libérés contre la remise d’une rançon de trente millions de florins. Parmi les ravisseurs, Willem « Wim » Holleeder et son beau-frère Cor van Hout. Arrêté en 1984, incarcérés jusqu’en 1992, il devient peu à peu l’un des truands les mieux établis des Pays-Bas et une espèce de légende nationale, alors qu’il continue les aller-retours en prison pour extorsion, menaces ou chantage. Holleeder a ainsi droit à des chansons en son honneur, à des biographies hagiographiques et même a une chronique régulière dans un magazine.
Mais c’est une autre histoire que raconte sa sœur, Astrid, dans Judas. Astrid a grandi dans l’ombre de son frère ainé dans le quartier populaire du Joordan, à Amsterdam, sous la coupe d’un père alcoolique et tyrannique. Si la grande sœur, Sonja, a plus ou moins suivi la voie de Willem en épousant son complice Cor, Astrid, elle, a suivi des études jusqu’à devenir avocate. Mais on ne rompt pas comme cela avec sa famille, et surtout pas avec Wim. Il y a le nom d’abord, marqué au fer rouge depuis 1983 et qui représente un sacré handicap lorsque l’on veut travailler dans le domaine de la justice. Il y a surtout aussi la volonté de Wim de contrôler totalement son entourage, de le tenir sous sa coupe, en menaçant mais aussi, si besoin, en punissant. C’est ainsi qu’il n’hésitera pas à faire abattre Cor et à menacer Sonja et ses enfants afin qu’elle lui reverse l’héritage de son mari. C’est ce Willem Holleeder là, bien loin de l’image romanesque du bandit d’honneur que les médias ont tressée, que présente Astrid Holleeder. C’est contre lui aussi, qu’elle a décidé, avec sa sœur et la compagne de son frère, de témoigner en justice afin de l’envoyer en prison pour le meurtre de Cor van Hout.
Il y a là tous les ingrédients d’une histoire criminelle exceptionnelle. Ce n’est toutefois pas l’angle choisi par Astrid Holleeder. Le titre est relativement clair à ce sujet. Le Judas du titre, c’est bien entendu moins Wim qui a trahi Cor, qu’Astrid elle-même qui a trahi Wim. Si elle en paie aujourd’hui le prix fort – elle vit cloitrée sous protection policière car son frère, depuis sa prison, a mis sa tête à prix – Astrid Holleeder semble penser qu’il n’est pas encore assez élevé pour sa trahison. Aussi son livre est-il constamment partagé entre la justification de cette dénonciation qui passe par la description d’un Wim pervers narcissique et le besoin de trouver si ce n’est toujours des excuses, au moins des explications au comportement du grand frère.
Dès lors, Judas relève moins du récit criminel que de la thérapie par la plume. Il s’agit d’un récit intime, parfois erratique, sautant d’une époque à l’autre revenant sur tel ou tel aspect pour le mettre en regard d’une situation particulière, au risque de rendre la lecture d’autant plus fastidieuse que l’écriture d’Astrid Holleeder n’est par ailleurs pas vraiment fluide. Autant dire que l’on n’est, pour ne reprendre que quelques noms ou titres cités en quatrième de couverture ou dans la presse, ni chez Saviano, ni dans le Parrain, l’activité criminelle de Wim demeurant en arrière-plan et très peu documentée. Même le kidnapping de Heineken n’est qu’évoqué, certainement parce que le public hollandais en connaît les circonstances sur le bout des doigts, ce qui n’est malheureusement pas forcément le cas du lecteur français. Dès lors, celui qui, comme nous, pense trouver un tableau de la pègre hollandaise ou de la geste véridique de l’un des plus grands criminels du pays, s’expose à une véritable déception. Récit psychologisant et hésitant, Judas, qui est avant tout une façon pour Astrid Holleeder de compléter sa thérapie, ne tient finalement pas la promesse que l’on avait cru y voir.
Astrid Holleeder, Judas (Judas, 2016), Éditions du Sous-Sol, 2018. Traduit par Brigitte Zwerver-Berret et Yvonne Pétrequin. 495 p.