492, de Klester Cavalcanti

Publié le par Yan

Sous-titré Confessions d’un tueur à gages, 492 est à classer dans le genre de la literary non-fiction, ces essais ou enquêtes avec une certaine ambition littéraire. Il faut dire que le sujet qu’aborde là le journaliste brésilien Klester Cavalcanti s’y prête particulièrement. Il s’agit tout simplement de l’histoire de Júlio Santana, tueur à gages qui, en plus de 30 ans d’exercice de son métier, a mené à bien quatre cents quatre-vingt-douze contrats. De fait tout cela commence comme un roman. L’histoire d’un adolescent qui a grandi dans une famille pauvre installée dans la forêt amazonienne, chasseur émérite et admirateur de son oncle parti faire carrière en ville dans la police militaire. C’est cet oncle, par ailleurs tueur à gages lorsqu’il est de repos qui, conscient des aptitudes au tir de Júlio, lui demande un jour de 1971 de le suppléer sur un contrat puis le convainc de travailler comme éclaireur pour l’armée alors en chasse des rebelles communistes de l’Araguaia.

On pourrait légitimement craindre que le livre de Cavalcanti se transforme assez rapidement en une longue litanie de contrats exécutés avec plus ou moins de réussite. Toutefois, le journaliste entend moins parler des contrats en eux-mêmes que du cheminement de Júlio Santana, de la façon dont il s’engage peu à peu dans une voie sans issue et de la manière dont il participe dans l’ombre à une part sombre de l’histoire brésilienne. Une grande partie de 492 est ainsi consacrée à la traque des communistes de l’Araguaia et en particulier au récit de l’arrestation de José Genoino Neto, futur député et président du Parti des Travailleurs de Lula et Dilma Rousseff. La suite de la carrière de Santana est évoquée à travers quelques contrats emblématiques de la manière dont le tueur travaille et, surtout, de la situation économique et sociale du Brésil durant ces années. Car, de fait, ce qui apparaît en filigrane, c’est bien l’énorme fossé qui existe entre les différentes classes de la population et la possibilité pour quelques-uns de s’affranchir de la justice pour protéger leurs intérêts. Si Santana peut exécuter des personnes pour des histoires d’adultère, de viols non punis ou de dettes ridicules, il opère aussi très souvent pour le compte de gros propriétaires agricoles soucieux de se débarrasser de paysans sans terres ou de syndicalistes, ou d’entrepreneurs qui veulent asseoir leur autorité en éliminant des employés dont ils jugent qu’ils les ont floués. 492 révèle aussi, bien entendu, combien la confiance en la justice officielle est extrêmement faible, et l’on imagine bien que Santana n’est pas le seul à opérer sur son créneau professionnel.

C’est ce portrait de la société brésilienne des années 1970 aux années 2000 qui fait tout le sel du récit. Bien plus que les états d’âme d’un Júlio Santana qui sonnent bien souvent faux. Mais c’est un peu la règle de l’exercice : les criminels qui se livrent sur leurs activités ont rarement envie de se donner entièrement le mauvais rôle et si, comme Santana, ils assument, il n’en demeure pas moins qu’ils cherchent un certain nombre de justifications plus ou moins crédibles.

Cela fait partie du jeu, donc, et ne nuit guère à l’ensemble qui constitue à n’en pas douter un document proprement édifiant.

Klester Cavalcanti, 492 (O nome da morte, 2006), Métailié, 2018. Traduit par Hubert Tézenas. 214 p.    

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