Hillbilly Élégie, de J. D. Vance

Publié le par Yan

J. D. Vance est avocat. Il l’est devenu après de brillantes études qui l’ont mené à l’université de Yale. Mais, a priori, rien ne le destinait à suivre ce parcours. Vance est en effet issu de la classe pauvre américaine et plus particulièrement de cette communauté laborieuse de petits blancs des Appalaches, les Hillbillies, qui a subi la crise minière et celle de l’industrie dans ce que l’on appelle la rust belt, cette ceinture de la rouille dont le nom évoque la décrépitude de l’outil minier et industriel.

À travers le récit de son parcours, J. D. Vance entend faire connaître cette communauté et les problèmes dont elle souffre : pauvreté, alcoolisme, drogue, archaïsme des structures sociales sur lesquelles elle fonde en partie ses valeurs… en fin de compte une certaine inadaptation à l’Amérique moderne. Vance, on l’a dit est avocat, et on le ressent bien dans son écriture qui tient moins, malgré son titre, de l’ambition littéraire que du plaidoyer – ce qui nous évitera au moins les éternelles comparaisons avec Faulkner ou Steinbeck. Un plaidoyer qui pour sa part est d’ailleurs moins en faveur des Hillbillies que de Vance lui-même.

Car, de fait, on ne peut pas vraiment lire Hillbilly Élégie comme une œuvre de réhabilitation de la communauté dont Vance est issue et qui pâtit d’un évident mépris de classe, mais plutôt comme une manière pour Vance de célébrer son propre parcours et sa capacité – avec l’aide notamment de sa grand-mère, de sa sœur, de sa tante, des Marines et de quelques enseignants – à s’extraire de son milieu pour s’élever dans la société américaine pour vivre son rêve américain en se débarrassant peu à peu de ses oripeaux de plouc des collines.

C’est certainement là que se trouve d’ailleurs le véritable intérêt du livre de J. D. Vance ; dans cette manière dont l’auteur vit son identité de Hillbilly comme un véritable conflit intérieur. Vance se trouve partagé – écartelé même – entre la fierté de ses origines et de la solidarité du cercle communautaire dans lequel il a grandi et une certaine honte de ce que peut être cette communauté incapable de s’extraire de sa condition. Plus encore, Vance – et cela est palpable dès l’introduction – tire en grande partie sa fierté du fait qu’il a réussi à sortir de la communauté hillbillie pour s’élever socialement et s’intégrer à un milieu qu’il n’était pas sensé fréquenter. Au point qu’il finit par se sentir en quelque sorte étranger à sa communauté d’origine tout en continuant d’y être viscéralement attaché. Honte et fierté se mêlent donc et Vance essaie avec difficulté de concilier les deux identités – l’avocat brillant et le hillbilly – qu’il a fini par posséder et qui entrent en conflit.

 Si cela est d’un véritable intérêt, c’est aussi clairement la limite du propos de Hillbilly Élégie. On peut légitimement avoir l’impression que Vance cherche à expliquer au lecteur ce qu’est la communauté hillbillie, son essence et les problèmes qu’elle subit. Mais, à part l’utilisation de quelques extraits d’études sociologiques et quelques regards jetés sur des voisins ou un collègue de travail, Vance n’entreprend aucune analyse solide. On ne peut certes pas reprocher à un récit qui se veut intime de ne pas être un essai sociologique, néanmoins l’ambition de Vance consistant à mettre en valeur « l’esprit » hillbilly se heurte à cette absence de confrontation véritable entre ce qu’il a vécu et ce que peut vivre le reste de sa communauté. Plus encore, Vance se fait très vite moraliste – pour ne pas dire moralisateur –, tirant des généralités de cas particuliers qu’il a pu connaître. Un de ses collègues était tout le temps en retard ? Le Hillbilly est un fainéant incapable de se plier aux contraintes de la société. Une femme de sa connaissance est maltraitée par son mari ? Le Hillbilly est alcoolique et violent et sa femme est incapable de sortir de son statut de victime. Tout cela alors que Vance lui-même, par son parcours, y compris auprès d’une grand-mère aimante et d’une famille qui l’a en grande partie protégé – même s’il a été délaissé et maltraité par sa mère – vient démentir ces généralités à l’emporte-pièce.

C’est que Vance a des convictions qu’il ne cache pas. Il est républicain et, s’il fait tout de même partie de ceux qui croient au welfare state, pense que les pauvres devraient un peu se prendre en main pour réussir comme lui l’a fait. Et on se trouve là encore face à une certaine contradiction. J’ai pu lire ici ou là que Vance aurait été l’écrivain qui a vu arriver l’élection de Trump. Peut-être. Si c’est le cas, c’est certainement parce qu’il s’est lui-même engagé de ce côté de l’échiquier politique. Mais nous dit-il que les Hillbillies votent Trump ? Même pas. Au contraire, les seules références en la matière sont le fait que ses grands-parents ont toujours voté démocrate sauf au moment de l’élection de Reagan. Toute étude sur les dernières élections – après Clinton, en gros – est éludée et l’on n’apprendra rien sur la manière dont a pu basculer ou pas le vote hillbilly – pour peu qu’il existe.  

Bref, si Hillbilly Élégie n’est pas un livre inintéressant, il convient de le considérer pour ce qu’il est : un récit de vie assez platement écrit, un parcours personnel et une vision en conséquence partielle – et partiale – d’une communauté qui n’a pas valeur de généralité mais qu’il conviendrait de comparer avec d’autres récits du même type ou même avec la manière dont la communauté des petits blancs des Appalaches est évoquée dans la fiction. Sans doute pourrait-on alors si ce n’est voir, au moins discerner ce qui relève dans chacun de ces récits du cliché ou de la juste analyse.

J. D. Vance, Hillbilly Élégie (Hillbilly Elegy, 2016), Globe, 2017. Traduit par Vincent Raynaud. 280 p.

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