Un moindre mal, de Joe Flanagan

Publié le par Yan

En 1957, sur la presqu’île de Cape Cod, des enfants sont assassinés. William Warren, lieutenant et chef par intérim de la police locale devrait s’y intéresser de près, de même qu’à la disparition d’une famille, mais l’ambitieux procureur local qui voit là l’occasion de mettre un coup d’accélérateur à sa carrière, le dessaisit de ces affaires au profit de la police d’État et en particulier de l’enquêteur Dale Stasiak. Flic violent et certainement corrompu, Stasiak semble vouloir saboter les affaires dont il a la charge et même celle qui reste encore entre les mains de Warren, le tabassage en règle d’un homme qui refuse de parler à la police.

Incarnation de l’honnêteté, Warren voit d’un bien mauvais œil ce qui lui arrive et, lorsqu’il tente malgré tout de faire son travail, se heurte bien vite à l’hostilité des notables et conseillers locaux, ceux qui peuvent faire ou défaire sa carrière. Or, Warren vit seul avec son fils souffrant de retard mental qu’il a décidé de scolariser dans une institution privée. Il se trouve dès lors face à un dilemme : faire ce qu’il croit juste et risquer de perdre son emploi, ou fermer les yeux, courber l’échine et laisser les choses suivre leur cours.

Dans ce premier roman, Joe Flanagan se montre ambitieux, bien décidé qu’il est à ancrer son histoire dans un lieu et une époque très particuliers. On est là dans une région encore tiraillée entre son caractère de communauté plutôt fermée composée de notables dominant un peuple de pêcheurs pauvres et celui de lieu de villégiature de la bonne société de la côte Est, au moment où cette Amérique du Nord-Est profite de l’incroyable développement des années d’après-guerre sans pour autant avoir abandonné ni le carcan de ses croyances religieuses ni celui d’une société fortement hiérarchisée, inégalitaire et par bien des aspects discriminatrice. Cela, Flanagan le montre bien ; il recrée ce monde avec talent, fait apparaître assez finement les courants parfois contradictoires qui traversent cette société en mutation et les questions morales que cela pose.

Il peint par ailleurs un Bill Warren et son inspecteur, Ed Jenkins, tous les deux épris de justice mais sans cesse confrontés à la corruption et aux arrangements – au nom bien entendu d’un impérieux besoin de conserver l’union de la communauté – des notables qui dirigent le comté.

Ce sont là les deux points forts, et pas des moindres, du roman de Joe Flanagan. Mais le sont-ils suffisamment pour contrebalancer les points faibles du livre ? Car il y en a. À commencer par ce personnage de méchant ultime que représente un Dale Stasiak qui n’est pas sans rappeler parfois le Dudley Smith de James Ellroy. Et peut-être d’ailleurs, à trop s’être inspiré de ce genre de personnage sans arriver pour autant à lui donner une véritable épaisseur ni, surtout, à le rendre réellement ambivalent, Flanagan en fait un salaud très monolithique et donc moins intéressant qu’il ne devrait l’être. Et il en va de même de toute une cohorte de personnages secondaires qui se partagent entre faire-valoir de Warren ou de Stasiak et potentiels coupables destinés à fournir un nombre conséquent de fausses pistes pour égarer le lecteur. Lecteur qui, d’ailleurs, peut légitimement se sentir manipulé quand les différentes intrigues finissent par se résoudre à coup d’informations qui arrivent toujours au bon moment ou même, du retour surprise de certains personnages, voire, purement et simplement de miracles divins qui finissent par mener à une fin qui va sans doute trop loin dans les bons sentiments.

Pas foncièrement mauvais et même souvent agréable à lire, Un moindre mal se révèle toutefois décevant dans l’ensemble, peinant à réaliser les promesses portées par la belle ambiance mise en place par l’auteur. À trop vouloir en faire, Joe Flanagan semble finir par sacrifier la structure de son histoire et ses personnages à cette atmosphère qui, en fin de compte ne fait que dissimuler un peu le côté convenu et relevant même souvent du cliché, de l’intrigue.

Joe Flanagan, Un moindre mal (Lesser Evils, 2016), Gallmeister, 2017. Traduit par Janique Jouin-de Laurens. 470 p.

Publié dans Noir américain

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