Yaak Valley, Montana, de Smith Henderson

Publié le par Yan

Début des années 1980, Pete Snow est assistant social à Tenmile, dans le nord du Montana. Sur cet immense secteur isolé de la Yaak Valley, il ne manque pas de travail. Pauvreté rurale ordinaire, marginaux venus chercher une vie meilleure qui n’ont trouvé qu’isolement et, dans ces espaces sauvages, fondamentalistes et miliciens se préparant à la fin du monde ou à l’arrivée au pouvoir des juifs et des francs-maçons, sont le lot quotidien de tout assistant social qui se respecte.

Pour investi qu’il soit dans son travail, Pete ne peut que constater combien son action est rarement utile et surtout à quel point sa propre vie est un échec… Alcoolique, un père avec lequel il a coupé les ponts, un frère en cavale recherché par la police et surtout une fille de quatorze ans partie avec sa mère au Texas et qui a fini par fuguer et disparaître. Sa rencontre avec Benjamin, gamin retrouvé errant dans la cour de l’école après être sorti des bois, puis avec le père de ce dernier, Jeremiah Pearl, fuyant la civilisation et surtout les représentants de l’État fédéral en attendant que l’Apocalypse vienne remettre de l’ordre dans tout cela va représenter un nouveau défi pour Pete. Peut-être aussi une forme de rédemption ou un moyen de fuir sa propre vie en se focalisant sur ces fascinants Pearl.

Yaak Valley, Montana, est incontestablement un roman riche. Smith Henderson y fait preuve d’une belle sensibilité et, si ces personnages sont confits de défauts et rarement innocents, à l’exception des enfants, il n’en demeure pas moins qu’il prend soin de les peindre avec nuance, n’évitant pas leurs travers mais ne laissant jamais de côté ce qu’ils peuvent aussi avoir de bon, et c’est certainement ce qui en fait un beau livre. Yaak Valley est une galerie de destins brisés ; d’hommes, de femmes et d’enfants qui font consciemment ou pas les mauvais choix et sont mus par un inaccessible idéal de liberté dans lequel ils espèrent se réaliser sans compter sur qui que ce soit, et c’est cela qui en fait la beauté. De cette galerie, Smith Henderson extrait Pete et sa quête désespérée de rédemption autour duquel tournent tous les autres, et Rachel, sa fille, incarnation de son échec, qui le fuit tout en revenant vers lui sans vouloir l’admettre.

C’est aussi là qu’apparaissent les défauts du roman. Smith Henderson a besoin d’expliquer. Les confessions de Rachel, la description des états d’âmes de Pete deviennent parfois envahissants, redondants, et rejettent au second plan des personnages tout aussi intéressant – les Pearl, bien entendu, mais aussi Cecil, le premier échec patent de Pete en tant qu’assistant social, et même l’agent fédéral Pinkerton – tandis que d’autres, comme le juge, Luke ou Mary sont relégués au rang de faire-valoir. De la même manière, l’arrière-plan, cette partie du Montana qui devient dans ces années 1970-1980 le refuge des milices d’extrême-droite et d’illuminés de toutes sortes, semble destiné à ne rester qu’un décor – animé, certes, mais qui ne prend jamais l’ampleur que l’on attend. Comme si parfois Smith Henderson semblait dépassé par la richesse de l’histoire qui s’écrit sous sa plume ou si cette histoire se trouvait limitée par l’écriture de son auteur.

Alors il ne s’agit pas de dire que Yaak Valley, Montana est un mauvais livre. Répétons-le, il s’agit d’un beau roman, parfois bouleversant, et certains passages sont amenés à rester gravés dans l’esprit du lecteur. Pour autant, peut-être aussi parce qu’il peine à dépasser ce que d’autres – et on pense nécessairement à Ron Rash – ont déjà fait bien mieux, il n’est pas le chef-d’œuvre annoncé ici ou là, à commencer par les critiques dithyrambiques que l’éditeur cite sur la couverture. Reste donc une œuvre qui, sans être foncièrement originale ni dénuée de défauts, a pour elle d’être sincère.

Smith Henderson, Yaak Valley, Montana (Fourth of July Creek, 2014), Belfond, 2016. Traduit par Nathalie Peronny. 578 p.

Publié dans Noir américain

Commenter cet article

F
Mon avis sur ce roman avait été plus "enthousiaste" que le tien mais il n'empêche qu'en te lisant je partage certaines de tes "réticences" ! N'oublions pas cependant qu'il s'agit d'un premier roman, non ?<br /> Je vais me pencher sur Ron Rash que je ne connais pas ... ;-) Décidément fréquenter ton blog m'amène sur des chemins encore inexplorés ! Merci à toi, Yan !
Répondre
Y
Avec plaisir. <br /> Oui, c'est un premier roman, c'est vrai. Mais je pense qu'au bout d'un moment, cette mode du roman "rural", un peu comme celle du polar scandinave en son temps, pousse le lectorat à saturation. Et on compare nécessairement... Et quand on compare avec Rash ou Woodrell, ça devient compliqué pour les nouveaux venus.