Nuit mère, de Kurt Vonnegut

Publié le par Yan

« Celle-ci est la seule de mes histoires dont je connais la morale. Je ne pense pas que cette morale soit merveilleuse ; il se trouve simplement que je la connais : nous sommes ce que nous feignons d’être, aussi devons-nous prendre garde à ce que nous feignons d’être. » dit Kurt Vonnegut en introduction à Nuit mère (avant d’ajouter, plus loin, pour faire bonne mesure : « Il existe une autre morale limpide à ce récit, maintenant que j’y pense : Quand vous êtes mort, vous êtes mort. Et voilà une autre morale qui me vient à l’esprit : Faites l’amour quand vous pouvez. C’est bon pour la santé. »).

Autant dire que le chroniqueur n’a pas grand-chose à ajouter à ces quelques phrases qui résument on ne peut mieux et l’esprit du livre et la philosophie de Vonnegut.

Quelques explications tout de même, sur l’histoire. Nuit mère est le récit autobiographique fictif de Howard C. Campbell « américain de naissance, nazi de réputation et apatride par inclination » que ce dernier aurait envoyé à Vonnegut depuis sa cellule à Jérusalem dans laquelle il attend son procès pour avoir activement pris part à la propagande nazie durant la guerre. Américain vivant en Allemagne, Campbell, dramaturge et écrivain, a mis beaucoup de zèle à fustiger juifs et communistes dans ses émissions radiophoniques. Il a aussi joué les agents doubles au service des États-Unis, ce qui explique qu’il a pu rentrer en Amérique sans encombre après la guerre. Sauf que, à l’aube des années 1960, son anonymat tout relatif fait que communistes et agents du Mossad comptent bien lui mettre la main dessus en se servant d’un groupuscule néonazi local.

Derrière les confessions de Campbell se dessine un formidable jeu de dupes dans lequel – et l’on retrouve là la morale de l’histoire – nul n’est ce qu’il paraît être mais tend à devenir le personnage dont il a endossé la peau pour les besoins de sa mission, plongeant Campbell et ceux qui gravitent autour de lui dans une fiction qui dépasse la réalité ou, à tout le moins, efface ses contours. Et l’on sera bien en peine de savoir en fin de compte qui est Campbell. Quelles sont ses convictions réelles ? En a-t-il seulement ? Et même : existe-t-il vraiment ou n’est-il lui-même que le produit de sa propre imagination ?

Ainsi ce roman de 1961, un des premiers de Kurt Vonnegut, prend-il la forme d’un drôle d’objet métalittéraire vertigineux, à la fois amusant – les conversation de Campbell avec Eichmann sur la nécessité d’avoir un agent littéraire ou encore l’évocation de tournois de pingpong organisés au ministère de la Propagande valent le détour – et angoissant. Fascinant.

Kurt Vonnegut, Nuit mère (Mother Night, 1961), Gallmeister, coll. Totem, 2016. Traduit par Gwilym Tonnerre. 242 p.

Publié dans Noir américain

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O
Bonjour<br /> Ce roman, que j'ai chroniqué le 30 juillet dernier, a paru aux éditions du Sycomore puis réédité aux édition 10/18. Et d'après les premières lignes, la traduction est semblable aux premières éditions, donc je ne vois pas l'intérêt de retraduire sauf à laisser penser que les éditeurs et traducteurs précédents avaient mal fait leur travail...
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Y
Oui, mais si tu n'as pas le choix... Ce fut le cas il y a quelques années quand Belfort a récupéré les droits du premier livre de Douglas Kennedy. Gallimard avait laissé filer les droits du bouquin mais ne comptait pas faciliter la vie de Belfond en leur vendant les droits de la traduction. D'où une nouvelle trad pas très différente et un autre titre.
O
D'accord, mais dans ce cas il faut bien payer le nouveau traducteur ?
Y
Je pense qu'il y a aussi des questions de droits. Les droits du livre en vo peuvent être en vente sans que ceux de la traduction le soient, non?
O
C'est vrai, mais pourquoi le retraduire ? Bon d'accord, je n'ai lu que la version 10/18, donc il faudrait pouvoir juger les deux versions. Et comme je ne lis pas l'américain, l'anglo-saxon en général, on peut douter de chacune des versions.
Y
À le rendre disponible, vu que les autres éditions sont épuisées?