Tokyo Vice, de Jake Adelstein
Premier ouvrage des jeunes éditions Marchialy, Tokyo Vice est un essai, un de ces livres dont les journalistes américains ont le secret et que l’on appelle la creative nonfiction. Ici donc Jake Adelstein raconte comment, après des études qui l’ont mené à Tokyo il a réussi à intégrer la rédaction du Yomiuri Shinbun, l’un des plus grands quotidiens japonais. Affecté au service Police-Justice, il découvre une autre facette de la culture japonaise et s’intéresse peu à peu aux yakuzas. Plongeant de plus en plus dans les nuits interlopes de Kabukichō ou Roppongi, Adelstein soulève quelques loups et s’intéresse en particulier de très près au trafic d’êtres humains. Une enquête qui va lui valoir de voir sa tête mise à prix par le Goto-Gumi, branche du Yamaguchi-Gumi, le plus important gang yakuza du pays.
Tokyo Vice s’ouvre par une scène particulièrement éloquente et saisissante. Pris dans les filets de Jake Adelstein, le lecteur a tôt fait d’embarquer dans l’histoire singulière de ce jeune et naïf juif américain immergé dans une culture dont il découvre petit à petit les codes. De fait, si l’introduction du livre annonce une suite trépidante, le soufflé retombe vite sans que pour autant l’ouvrage perde de son intérêt. Il faudra encore quelques centaines de pages avant d’entrer de plain-pied dans l’enquête qui met le feu aux poudres et pousse Adelstein à se confronter au Goto-Gumi. Entre temps, le récit que fait l’auteur de sa découverte du journalisme à la japonaise et de la manière dont s’entretiennent les relations entre la presse et la police nippones est particulièrement intéressant en ce qu’il révèle de façon souvent amusante des pans de la culture du pays qui nous sont pour beaucoup étrangers.
Peu à peu aussi, Jake Adelstein, tout en se servant des stéréotypes que peut avoir le lecteur et qui, pour une bonne part, sont un peu les siens lorsqu’il débute sa carrière au Yomiuri Shinbun, offre un autre regard sur le Japon et en particulier sur ce Japon normalement fermé aux gaijins mais que son poste de journaliste et les relations qu’il noue avec la police et les yakuzas lui permettent de pénétrer. Tout cela est bien souvent passionnant, parfois étonnant, toujours instructif. Et quand Adelstein s’enfonce un peu plus dans la face sombre de Tokyo, dans la complexe toile de relations codées entre journalistes, policiers, yakuzas, politiques… le livre trouve un second souffle qui ne se relâchera plus jusqu’à la fin.
Certes, Jake Adelstein, oscillant sans cesse entre la mise en avant de sa propre naïveté et l’autoflagellation propre aux Américains cherchant à expier quelque faute morale peut parfois se montrer agaçant. Mais il n’en demeure pas moins que c’est bien aussi ce décalage, et au moins autant que la documentation sur le crime et la traite d’êtres humains au Japon, qui fait l’intérêt de son livre. Belle découverte malgré tout – et, signalons-le au passage, bel objet – Tokyo Vice est donc un document d’un grand intérêt en même temps, pourrait-on dire qu’un agréable roman.
Jake Adelstein, Tokyo Vice (Tokyo Vice, An American Reporter on the Police Beat in Japan, 2009), Marchialy, 2016. Traduit par Cyril Gay. 475 p.