La nuit derrière moi, de Giampaolo Simi
« Ma deuxième vie est celle de Furio Guerri, le monstre » annonce Furio Guerri avant d’aller s’asseoir sur un banc pour observer des lycéennes pendant leur cours de sport tout en mangeant son sandwich, après avoir pris ses gouttes. Puis voilà la première vie de Furio Guerri, « VRP exclusif pour les Industries graphiques Aggradi ». Un monstre aussi, mais un monstre d’égocentrisme et d’égoïsme dissimulé sous une apparence de normalité : une très belle femme, une enfant de six ans capricieuse, une maison coquette et, aimée plus que tout, une Alfa Romeo Duetto arrière tronqué.
Ce qui commence par interpeler le lecteur, c’est le point de vue du récit. Si Guerri est toujours le narrateur, il alterne la première et la deuxième personne. Le monstre Guerri utilise le « je ». Le VRP Guerri, le « tu ». Premier accroc apparent : la distance qu’implique l’emploi de cette deuxième personne semble dire que le narrateur n’assume pas cette personnalité-là, celle du Guerri père de famille et ne reconnait pour réelle que celle du voyeur. Au fil de l’avancée du récit les traces d’incohérences apparentes continuent d’émerger, parfois très subrepticement, et viennent perturber le lecteur. La froideur du « tu » vient ainsi rendre antipathique le VRP aux dents longues tandis que le « je » du monstre crée une proximité qui en finirait presque par paraître moins malsaine.
C’est ainsi que Simi, à travers un redoutable choix de narration, accroche son lecteur, éveille sa curiosité et le met dans l’inconfort pendant plus de la moitié de son récit. Et quand les choses commencent à se décanter et que les préjugés induits par la manière dont Guerri a conté son histoire depuis le début viennent à perdre de la pertinence qu’on a bien voulu leur accorder, Simi se lance dans un final qui, pour être moins surprenant, se révèle à tout le moins extrêmement tendu.
Abordé avec circonspection, de crainte de se retrouver face à une énième histoire de tueur en série menant une double vie, La nuit derrière moi est apparu en fin de compte comme un roman noir intelligent doublé d’un suspense remarquablement bien mené. Portrait intime d’un monstre d’une effroyable banalité, le roman de Giampaolo Simi est une incontestable réussite.
Giampaolo Simi, La nuit derrière moi (La notte alle mie spalle, 2012), Sonatine, 2016. Traduit par Sophie Royère. 286 p.