Corrosion, de Jon Bassoff
Il y a d’abord Joseph Downs en 2010. L’ancien marine défiguré pendant la deuxième guerre du Golfe tombe en panne dans la petite ville de Stratton perdue au milieu de nulle part. Ambiance John Ridley car ici aussi commence l’enfer. La voiture au garage, un arrêt au bar, un couple entre, l’homme bat sa femme, Downs intervient, la femme le suit au motel et va bien vite le convaincre qu’il serait bon de la débarrasser définitivement de son mari. Le piège est en place. Mais qui de Joseph ou de la vénéneuse Lilith va tomber dedans ?
Il y a ensuite Benton Faulk, seize ans en 2003. Le lycéen vit avec sa mère mourante et son père bien décidé à la sauver en créant lui-même un remède qu’il teste sur des rats dans la cave. Benton n’a que deux refuges : les aventures de Soldat, héros américain qui découpe de l’irakien et de l’afghan à la chaîne dans un comics patriotique, et Constance, la belle serveuse du dinner, qui est le seul être humain à lui accorder un peu d’attention. Ah. Oui… il y a aussi cette cabane de mineur dans la montagne dans laquelle Benton entassera bientôt les aventures de Soldat et où il va prendre soin de creuser une cave avec une trappe solide et un gros cadenas.
Et quelque part entre 2003 et 2010 ces deux-là vont finir par se croiser. Pour le pire, on s’en doute.
Si Joseph Downs aime à écouter The Handsome Family, si Benton Faulk se plaît à chanter de vieilles rengaines country, c’est plutôt à un furieux air de psychobilly que fait penser Corrosion, roman noir hallucinatoire sur une Amérique pourrissante bien loin des lumières des mégapoles des côtes est et ouest. Corrodée jusqu’à la moelle, l’Amérique de Downs et Faulk a même fini par perdre le semblant de vernis de civilité que pouvaient lui conférer la religion et l’esprit de communauté. Ici c’est chacun pour soi, les hommes d’Église sont soit des charlatans, soit des lâches et personne, à part les cadavres bouffés par les asticots, n’est vraiment ce qu’il paraît être. Pas étonnant que là-dessous la rouille avance et que l’armature de cette société ne cesse de se ruiner au fur et à mesure que le métal s’effrite inexorablement, plaque par plaque.
Atmosphère de fin du monde et délires psychotiques rendus par une écriture rentre dedans sans fioritures mais ciselée sont au programme de ce roman inconfortable et fascinant.
Jon Bassof, Corrosion (Corrosion, 2013), Gallmeister, coll. NéoNoir, 2016. Traduit par Anatole Pons. 229 p.