Une contrée paisible et froide, de Clayton Lindemuth

Publié le par Yan

Pour ceux qui en doutaient encore, il est indéniable que le roman noir américain actuel tend beaucoup à se tourner vers les espaces ruraux. Une contrée paisible et froide, premier roman de Clayton Lindemuth, s’insère parfaitement dans cette vague avec une action qui prend place au début des années 1970 dans la petite ville de Bittersmith, Wyoming. Bittersmith, comme le shérif Bittersmith, descendant du fondateur de la ville et qui, à 24 heures d’une retraite forcée – alors qu’il n’a que 72 ans et que, armé de son sexe qu’il aime à appeler Gros Nixon, il exerce encore avec vigueur son droit de cuissage sur la population féminine – est appelé sur les lieux d’un crime. Burt Haudesert, fermier et membre éminent de la milice du Wyoming a été retrouvé dans sa grange transpercé par une fourche. Quant à Gwen, la fille de Burt, elle a disparu. Tout comme Gale G’Wain, le garçon de ferme orphelin qui vivait dans la grange et qui devient aussitôt le suspect numéro un. Gale, justement, en cet hiver particulièrement rude et alors que le blizzard se lève, se prépare, blessé, à tenir un siège depuis une maison abandonnée dans laquelle se trouve un véritable arsenal.

C’est donc de cette situation initiale que part le roman de Clayton Lindemuth avant d’alterner les points de vue – Bittersmith, Gwen, Gale – et les allers-retours entre passé et présent afin de révéler petit à petit l’enchaînement de situations qui a mené tous les personnages là où ils en sont.

Surtout, au-delà de l’éclaircissement des faits, Lindemuth propose toute une série de portraits de personnages plus détestables les uns que les autres parmi lesquels émergent ceux de Gwen et Gale que la jeunesse et une certaine solitude semblent avoir préservé de la corruption et dont la belle histoire d’amour constituera le seul rayon de soleil de ce roman où, entre les moments de tension et d’action mettant en scène le shérif Bittersmith et Gale assiégé, se révèle la pourriture endémique de ce patelin. Car si l’on a cru dès le premier chapitre, en voyant Bittersmith obtenir par le chantage une gâterie de la part d’une serveuse, que l’on n’aurait même pas droit à une couche de vernis des apparences à faire craquer pour voir les dessous inavouables de ce sale bled, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’il y encore sous cette crasse plusieurs épaisseurs de perversion.

Intelligemment construit, habilement rythmé et surtout particulièrement fin dans sa description des sentiments et des comportements, Une contrée paisible et froide est aussi particulièrement prenant et surprenant du fait du choix de Lindemuth de cantonner ses personnages dans des lieux clos – grange, maison, ferme isolée, ville trop petite dans laquelle le regard du shérif sur tout et tout le monde devient étouffant – qui contrastent avec les grands espaces que l’on se plaît à imaginer en abordant un roman se déroulant dans le Wyoming. Tout au plus pourra-t-on regretter, s’il fallait pointer un défaut, une certaine surenchère dans les révélations finales ; mais quoi qu’il en soit le roman de Clayton Lindemuth apparaît comme une des très bonnes surprises de la rentrée littéraire dans le rayon noir.

Clayton Lindemuth, Une contrée paisible et froide (Cold Quiet Country, 2012), Seuil Policiers, 2015. Traduit par Brice Matthieussent. 342 p.

Publié dans Noir américain

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