Mademoiselle Solitude, de Bill Pronzini
Terne comptable célibataire et solitaire, Jim Messenger croise un soir, dans le dinner où il a ses habitudes, une femme qui lui semble encore plus seule que lui et dont émane une grande mélancolie. Des semaines durant, chaque jour, à la même heure, il observe cette âme esseulée qui le rejette sans ménagement la seule fois où il tente maladroitement de l’aborder. Pour autant, la fascination qu’exerce sur lui la jeune femme ne diminue pas. Pas même lorsqu’il apprend qu’elle s’est suicidée et vivait à San Francisco sous un faux nom. Jim Messenger n’a dès lors plus qu’un objectif, identifier cette Mademoiselle Solitude, comme il l’a appelé, et faire la lumière sur les raisons de sa mort.
Premier roman de Bill Pronzini traduit depuis bien longtemps en France (le dernier, si je ne m’abuse était Le crime de John Faith, en 2001), alors que l’auteur a longtemps fait le bonheur des lecteurs de la Série Noire avec ses romans mettant en scène le détective sans nom, Mademoiselle Solitude est un bien beau retour.
D’une facture très classique – un personnage solitaire qui débarque dans une petite ville pour soulever le tapis sous lequel les habitants ont préféré glisser leurs sales souvenirs et leur mauvaise conscience – ce roman noir n’est pourtant pas commun. D’abord parce qu’il s’agit d’une belle réflexion sur la solitude, qu’elle soit désirée où le résultat d’une mise à l’écart imposée par les circonstances ou une communauté. Ensuite parce que son héros – pour autant qu’on puisse l’appeler ainsi – mue sous les yeux du lecteur avec un formidable naturel.
Rien ne semble forcé sous la plume de Pronzini. Les personnages prennent chair et surtout ne sont jamais monolithiques, figés. Les événements les façonnent, les changent et finissent par révéler ce qu’ils sont vraiment. C’est surtout le cas ici de ce Jim Messenger timide, coincé dans une existence et une routine dont il n’aurait jamais osé s’éloigner s’il n’avait croisé plus seul et mélancolique que lui, mais c’est aussi celui de tous les personnages avec lesquels il va entrer en contact dans la petite ville de Beulah plantée en plein milieu du désert du Nevada et que sa présence va profondément secouer.
Conventionnel sur la forme, Mademoiselle Solitude l’est moins sur le fond grâce au talent d’un Bill Pronzini qui sait donner à son intrigue, à ses personnages et à leurs interactions une véracité et une profondeur peu communs. On touche là, par bien des aspects, à l’essence du roman noir.
Bill Pronzini, Mademoiselle Solitude (Blue Lonesome, 1995), Denoël, 2013. Rééd. Folio Policier, 2015. Traduit par Frédéric Brument. 357 p.